C’est un livre original que celui de Bruno Cortequisse puisqu’il porte sur les dauphines de France au temps des Bourbons. Original car il se penche sur la vie des dauphines n’ayant pas régné (d’où l’absence de Marie-Antoinette) et qui, de facto, sont restées inconnues.
En effet, si le souvenir de la duchesse de Bourgogne, Marie-Adélaïde de Savoie, ne s’est pas effacé de la mémoire de Versailles, et encore moins celui de Mme Royale, l’orpheline du Temple, qui se souvient de Marie-Anne de Bavière, épouse du Grand Dauphin, de Marie-Thérèse Raphaëlle de Savoie, éphémère épouse du dauphin Louis, père de Louis XVI, et de Marie-Josèphe de Saxe ?
Peu de personnes en vérité. Leur mort prématurée, avant l’accession au trône de leur époux, les a plongées dans l’ombre opaque de l’oubli. C’est donc tout le mérite de ce livre, extrêmement plaisant à lire, que de les ramener à la lumière.
On retient tout d’abord les enjeux diplomatiques majeurs qui font ces mariages, parfois décidés au plus bas âge. Choisies pour consolider une alliance, ces jeunes femmes quittent pour toujours leur pays d’adoption. Elles entrent alors dans un processus extrêmement codifié, qui se répète à travers les décennies, structuré par un protocole aussi subtil que rigide.
La future épouse découvre ensuite le dauphin qui fera d’elle une reine de France. Pas d’amour, même si certains de ces couples ont pu tisser des liens d’affection très fort, comme le dauphin Louis-Ferdinand avec sa jeune princesse de Savoie dont la mort l’a fait souffrir avec sincérité. Et une exigence scrutée à la loupe : la consommation rapide du mariage qui rend le mariage indissoluble et assure la fonction première de ces femmes, assurer la descendance des Bourbons.
Cela étant, ce qui ressort le plus nettement du livre, c’est cette sorte de langueur et de tristesse qui imprègne leur vie à la cour de Versailles. Exigences protocolaires trop élevées, timidité trop forte, regrets trop lourds à porter, incompatibilité trop profonde avec son époux se cumulent pour empêcher un épanouissement personnel mais aussi politique de ces reines en attente.
Sans parler de Mme Royale, enfermée toute sa vie dans sa prison du Temple qui fut le tombeau de sa famille, mais qui trouva chez le duc d’Angoulême un apaisement réel, ces dauphines subirent leur sort avec dignité, résignation et une mélancolie qui les rendent attachantes.
Sans nul doute, la pétillante duchesse de Bourgogne, qui n’échappa pas à la maladie de langueur des dauphines de la Maison de Bourbon, a-t-elle très bien résumé la fatuité de ces vies emportées avant même d’atteindre leur but : “Hier princesse ; aujourd’hui rien ; dans deux jours oubliée.“
Et ce fut le cas. D’où l’utilité de ce livre.
frederic le moal
Bruno Cortequisse, Les dauphines de France au temps des Bourbons, 1661–1851, Perrin, janvier 2023, 397 p. — 24,00 €.