C’est un journal de guerre d’une exceptionnelle intensité où l’auteur décrit une réalité quotidienne faite d’attente, de surveillance, de combats à distance, de luttes rapprochées rues par rues. Il explicite le fonctionnement social de ce peuple qui a mis en place un régime démocratique réel, la place des femmes, une place toute naturelle, égalitaire, et leur rôle dans la société.
Il n’est pas étonnant alors de comprendre que des dictateurs comme Erdogan et Khamenei cherchent à les exterminer ayant trop peur que les peuples turc et iranien s’approprient de telles idées.
En juillet 2017, André est retourné au Rojava. Il est affecté à une unité qui investit les quartiers Ouest de Raqqa, la capitale syrienne de l’Etat islamique. Pendant une pause dans les combats, il songe que cela fait deux ans qu’il avait décidé de rejoindre les YPG (Les Unités de défense du Peuple), l’armée de ce Kurdistan syrien.
Il revient sur son passé quand, à 14 ans, il s’intéresse à la politique à partir d’un T-shirt portant l’effigie du Che. Il milite dans différentes organisations, manifeste, mais il est nostalgique d’une époque aux opportunités révolutionnaires.
Il suit la progression de daech et découvre les régions occupées, les peuples opprimés et ceux qui résistent. Il comprend que les Kurdes ne se battent pas que pour leur terre et contre Daech. Ils luttent aussi au nom d’un modèle révolutionnaire basé sur la démocratie directe, le socialisme, le féminisme, la laïcité et l’écologie. Et, parce qu’il en a assez des grands discours creux et de l’inertie de ceux qui les tiennent, il décide de partir pour le Rojava pour s’enrôler dans l’armée.
Après une formation de trois semaines, il se retrouve dans une unité sur le front des rives de l’Euphrate, dans un bataillon international.
L’auteur brocarde ces «“révolutionnaires” en chambre qui n’agissent qu’à coups de grands discours, qui organisent des manifestations loin des lieux dangereux, qui font imprimer des T-shirts… André Hébert expose les situations sans fioritures ni langue de bois. Ce sont les cadavres mangés par les chiens, les horreurs perpétrées par les djihadistes, les exécutions sommaires et systématiques, les femmes et les enfants forcés de se convertir avant d’être vendus comme esclaves sur les marchés du califat, les boucliers humains…
Il montre la volonté de ces unités combattantes de respecter, tant que faire se peut, la vie humaine, d’avoir le souci des civils. Mais, ils doivent faire des choix cruciaux quand, par exemple, ils croisent dans les rues de Raqqa des silhouettes portant le niqab : s’agit-il des femmes fuyant les combats ou de djihadistes déguisés pour tuer ?
Le dessin est assuré par Nicolas Otero qui ne pouvait que retenir des traits réalistes pour mettre en images les faits. Il donne une belle idée des situations, montre les actions sous des angles variés et ne gomme guère les horreurs découvertes quand ces combattants entrent dans les villages repris. Il assure une mise en page dynamique et donne une belle galerie de protagonistes.
La mise en couleurs est signée par 1ver2anes qui l’assure avec un beau réalisme.
Cet album livre un témoignage capital sur l’un des pires conflits de ce début de XXIe siècle, un journal de guerre et le manifeste politique d’un militant qui n’a pas hésité à mettre sa vie en jeu pour ses idées et défendre la cause kurde.
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serge perraud
André Hébert (scénario), Nicolas Otero (dessin) & 1ver2anes (couleur), Jusqu’à Raqqa — Un combattant français avec les Kurdes contre daech, Delcourt, coll. “Encrages”, janv. 2023, 120 p. — 17,50€.