Le tournant de l’hiver 1932–1933
Le livre de Paul Jankowski, extrêmement dense en informations et écrit comme savent le faire les historiens anglo-saxons, se penche sur une période courte, un hiver, celui de 1932–1933, qui selon lui aurait constitué un tournant. Lequel ? Celui où la période de l’après-guerre devient celle de l’avant-guerre.
Où l’on passe des illusions des années 1920 aux dures menaces des années 1930. Où les grandes puissances abandonnent pour de bon la politique de sécurité collective centrée autour de la SDN pour des politiques plus égoïstes et/ou agressives. Avec comme point central non pas l’arrivée au pouvoir de Hitler mais les conférences de Genève et de Lausanne de 1932, lesquelles constituent une sorte de fil conducteur de l’ouvrage.
L’auteur passe au crible l’ensemble des grandes puissances mais aussi des petits pays d’Europe centrale, pris en étau entre le Reich, l’URSS et leurs propres intérêts. Les Etats-Unis se replient sur la crise qui les lamine et portent au pouvoir un Roosevelt peu préoccupé des affaires mondiales. L’URSS entame un réarmement qui coexiste certes avec une insertion dans l’atmosphère de la SDN mais révèle en fait des desseins bien peu pacifiques.
L’Italie de Mussolini franchit un pas décisif qui la porte vers l’invasion de l’Ethiopie. La France s’enfonce dans l’instabilité, le Royaume-Uni dans les illusions de l’appeasement. Le Japon digère l’annexion de la Mandchourie dont l’occupation ouvre la voie aux politiques de conquêtes des Etats autoritaires et à l’absence de réponses de la part des Occidentaux.
La question des dettes de guerre et des réparations, véritable poison des relations internationales pendant les Années folles, occupe une place importante dans les analyses de l’auteur qui démontre leur influence dans l’inexorable éloignement entre Washington et les démocraties européennes, surtout la France. Et on lira avec intérêt le chapitre sur le regard porté par la presse étrangère sur le Reich qui démontre que les violences du nouveau régime occupaient déjà une bonne place dans les articles et l’information de l’opinion publique.
Et on saura gré à l’auteur d’insister sur la différence de traitement entre ces violences et celles à l’œuvre en URSS, tues ou minorées. Déjà…
Un livre dense donc et une thèse convaincante.
frederic le moal
Paul Jankowski, Tous contre tous. L’hiver 1933 et les origines de la Seconde Guerre mondiale, Passés/Composés, octobre 2022, 384 p. — 25,00 €.