Eugène Durif, L’Enfant sans nom

Mythes et réa­li­tés d’un personnage

Avec ce texte pour le théâtre, Eugène Durif renou­velle le mythe d’Œdipe. Il le fait en se sen­tant plus proche de Sophocle que d’Euripide, me semble-t-il. Donc plus appli­qué à l’histoire mythique qu’à la psy­cho­lo­gie des per­son­nages. De plus, la pièce est très proche de l’histoire d’Œdipe et va vers l’Œdipe Rex tout en débor­dant vers un Œdipe à Colonne. Donc, le che­min dif­fi­cile du héros fait cathar­sis, comme le fait tout vrai théâtre tra­gique.
On y purge des pas­sions, la crainte et la pitié. On passe en un sens de la domi­na­tion des Eri­nyes à celle des Eumé­nides et on sort comme réparé et lucide de la lec­ture de la pièce.

Que cela soit l’Aède, Tiré­sias ou Jocaste, le mythe pri­mi­tif (celui de Sig­mund Freud) est ici revi­sité pas du tout en termes natu­ra­listes, mais plu­tôt arché­ty­piques, texte où la parole véhi­cule l’histoire, le récit du par­ri­cide qu’est le héros, et ainsi évite un affreux psy­cho­lo­gisme qui aurait nui à la pro­fon­deur de cette écri­ture.
J’imagine bien la dif­fi­culté qui réside à se frot­ter aux grandes his­toires de notre civi­li­sa­tion, et je crois qu’ici E. Durif a réussi.

Je suis de la même pla­nète que vous.

Terre, terre ! Tête, bras, jambes.

Terre ! Ter­rien ! Terrien !

T’es rien ou t’es un humain ?

Un être humain comme tout le monde !

Marche sur un seul pied

L’autre boite, béquillonne !

Et pour vous, c’est une preuve de quoi ?

À quatre pattes, ou sur un pied,

Sur deux, sur trois,

Une marche titubante

Du début à la fin.


L
a réa­lité de théâtre balance entres les signes du réel, par néces­sité évi­dente du corps sur la scène, et ceux de la conven­tion théâ­trale, puisque les acteurs sont de faux vrais per­son­nages. Avec cette pièce, que je découvre comme lec­teur, je vois de grands arcanes plu­sieurs fois sécu­laires dont l’histoire est par­fai­te­ment connue, et d’ailleurs assez som­maire dans son récit. Mais, on y voit un peu de Paso­lini quand lui aussi s’intéresse au mythe.
Ce qui me per­met de dire que les res­sorts de la dra­ma­tur­gie sont pure­ment arti­fi­ciels, dans le bon sens du terme évi­dem­ment, pour ce qui concerne la repré­sen­ta­tion — au moins ce que j’en ai moi-même ima­giné. Une lec­ture réa­liste aurait achoppé sur le style énig­ma­tique du dramaturge.

ŒDIPE. Si j’essaie de regar­der en arrière

Un che­min, non rien que des traces

Des empreintes minuscules

Mises bout à bout, ça ne fait pas un chemin.

Voilà donc où me conduit ce chemin.

Le vrai vain­queur, c’est le lan­gage. Tout est affaire de mots. Le tra­gique de la situa­tion nous conduit à la pur­ga­tion de nos pas­sions. Cela parce que la pièce est volon­tai­re­ment, je crois, plus appuyée sur une pente dio­ny­siaque plu­tôt qu’apollinienne. On voit que les Ménades se sont empa­rées du théâtre (ici du livre) et nous mènent au bord des grands arché­types de notre Occi­dent, avec sa gran­deur sombre et inquié­tante.
Affaire d’épithètes et affaire de beauté, affaire de vio­lence, affaire de rédemption.

lire notre entre­tien avec l’auteur

didier ayres

Eugène Durif, L’Enfant sans nom, éd. Actes sud-papiers, 2006 — 8, 50 €.

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