Charlotte Auduc en Périgord Noir
C’est avec plaisir que l’on retrouve Charlotte Auduc, cette commandante de police au franc-parler et aux manières curieuses de mener ses enquêtes.
Après Au nom du père et du crime où elle arrive dans le Limousin, sa terre natale, après Huîtres et paniers de crabes où elle enquête dans le monde ostréicole, elle pratique le Périgord Noir et sa gastronomie dans le présent roman.
Jocelyn Sarrazignac, un notable propriétaire de truffières, arrive en pleine nuit pour débusquer un individu. Il tire deux coups de fusil en l’air et le voleur abandonne son sac de butin. Sarrazignac plonge la main dans le sac et la retire en hurlant. Il n’a plus la force de bouger et voit arriver le salaud déguisé en… poisson-clown. Mais avant de mourir de la piqure du taïpan, il a le temps de dire que le mémoire qu’il a rédigé est entre les mains de celui qui va le menacer, le faire danser.
Charlotte Auduc est à Fronsac en compagnie de Jacques, cet homme séduisant. Mais, elle s’interroge sur la réalité de ce citoyen. Ayant eu accès à son dossier, celui-ci est étrangement vide.
C’est un Basque, adjoint du superpréfet de région, qui lui demande d’aller authentifier la mort par infarctus de Sarrazignac car le décès de cette personnalité locale ne doit pas donner cours à des rumeurs. Obligée, elle se rend vers Sarlat. L’examen du corps ne présente aucune lésion. C’est en le retournant qu’elle découvre deux vilains trous noirs dans le poignet droit. Elle décide de faire autopsier le corps au grand dam de l’adjoint.
Les interrogatoires de ceux qui ont connus le défunt, de ceux qui ont été en contact professionnel ou amical permettent de débusquer des inimitiés, des conflits… Et quand un restaurateur étoilé est découvert mort, dans sa cuisine, par morsure…
Charlotte était au GIGN quand, lors d’un attentat, elle a pu sauver la vie du “représentant du Peuple” le plus haut placé, en perdant cependant sa main gauche. Depuis, celle-ci est remplacée par une prothèse hi-tech et Charlotte bénéficie d’une protection en platine. Nommée commandante, elle choisit de revenir vers ses racines, le Limousin, et rayonne dans la région Nouvelle-Aquitaine.
Son créateur, dont on connaît l’humour corrosif, la dote d’un caractère fort, très fort et d’une propension à dire tout haut les vérités qui ne sont pas toujours bonnes à entendre pour ses interlocuteurs.
Retenant comme cadre le Périgord Noir et comme personnages un éleveur d’oies, un trufficulteur, des chefs étoilés, l’auteur permet ici à la gastronomie d’occuper une belle place sans pour autant faire de l’ombre à l’enquête et aux investigations des limiers.
Le romancier conçoit une intrigue fort subtile qu’il fait croître en tension jusqu’à un dénouement peu attendu. Il retient des patronymes truculents pour la plupart des membres de sa galerie d’acteurs du drame, des acteurs étonnants.
Parallèlement, Charlotte est confrontée à un mystère quant à l’homme qui a su lui redonner confiance en elle en tant que femme. Si l’action est rythmée, ce n’est pas celle d’un James Bond, mais elle est servie par des dialogues enlevés, au ton pétillant même lorsqu’il s’agit d’une conversation ordinaire.
Charlotte ne manie pas la langue de bois, mais Philippe Bouin use d’un vocabulaire à la fois picaresque et relevé.
Une héroïne particulièrement attachante, un voyage en gastronomie au fil d’une intrigue fort bien imaginée font de ce roman un grand moment de lecture.
serge perraud
Philippe Bouin, Meurtres en cuisine, Moissons noires, mai 2022, 336 p. – 7,50 €.