Une nouvelle héroïne craquante
Philippe Bouin possède l’art d’imaginer des héroïnes et des héros originaux, peu respectueux des convenances, de la langue de bois et enclins à braver les interdits. Il a enchanté des lecteurs avec les enquêtes entre Bourgogne et Rhône de Sœur Blandine, une religieuse délurée, avec celle d’Archibald Sirauton, un ancien juge d’instruction reconverti en vigneron et qui se retrouve premier magistrat de sa commune viticole.
Il revient avec Charlotte Auduc, commandante de police. Et, cela déménage !!!
À G*, en Limousin, le curé Piffaud, un malabar, ne connaît pas la langue de bois et dans ses sermons, “sous couvert de paraboles vicieusement troussées”, il dénonce les caciques locaux. Il fait le plein de l’église, sous-entendant de nouvelles révélations pour le dimanche suivant. C’est dans le confessionnal qu’il est poignardé. Son meurtrier traîne son cadavre jusqu’à l’autel quand survient une octogénaire. Il n’a d’autre solution que tuer à nouveau.
À Limoges, le braquage d’une bijouterie échoue grâce à l’action de la commandante Charlotte Auduc et de son équipe. Le Préfet la convoque et l’envoie à G* pour gérer de façon confidentielle le meurtre du curé. Victor Juillet, le maire inamovible a tellement d’appuis… De plus, il est le maître de l’économie locale. Ce que le Préfet ignore, c’est que Charlotte a un vieux compte à régler avec G*, avec Victor Juillet. Avec Rap, son beauceron arlequin, elle avance son enquête avec détermination, faisant fi des procédures et des censures locales.
Mais, les cadavres se succèdent…
La nouvelle héroïne du romancier, Charlotte Auduc, entame la quarantaine tout en paraissant cinq ans de moins. Elle a fait partie du RAID jusqu’à la perte de sa main gauche en protégeant Qui-Vous-Savez. Celle-ci est remplacée par une prothèse myoélectrique qu’elle a dénommée La Chose. Elle est accompagnée de Rap, un chien spécialement dressé pour accompagner les handicapés. Sa vie sentimentale est régie par Le Truc, un sex-toy, son amant ayant fui après l’amputation.
Outre des personnages truculents, Philippe Bouin excelle à peindre la Province, les populations de ces bourgades, de ces petites villes nichées dans des vallons, protégées par des collines. Il régale à traquer les secrets, les perversions, les drames qui se cachent derrière des façades de respectabilité, de convenances. Il dépeint ces atmosphères compassées, ces liens tissés entre les habitants depuis des décennies, voire des générations.
Il brosse avec un talent peu commun des portraits express, où, en quelques mots bien choisis, bien sentis, il faire vivre un personnage avec ses qualités physiques et intellectuelles. Il anime avec eux une ronde où tous se croisent en un ballet rythmé selon un tempo tonique. Les réflexions spirituelles fusent et abondent. L’auteur multiplie les annotations cocasses, pleines de bon sens et d’ironie où se mêlent, cependant, une grande tendresse pour les personnages, une large part d’humanité et une affection pour le milieu qui sert de scène à l’intrigue.
Bouin a beaucoup observé et nous restitue fidèlement les travers de nos contemporains et, donc, par nature, les nôtres.
Une écriture soignée, un vocabulaire relevé, des informations pertinentes servent un style enlevé aux dialogues pétillants. Premier volet d’une nouvelle série, ce roman se lit avec un grand plaisir pour sa galerie de personnages pour son intrigue subtile, parfaitement en phase avec le cadre choisi et d’une belle inventivité.
serge perraud
Philippe Bouin, Au nom du père et du crime, Moissons noires (Éditions La Geste), deuxième semestre 2019, 400 p. – 18,00 €.