L’auteur a toujours connu la terreur de l’ombre. Il sait que ses ancêtres ne se sont jamais débarrassés de leurs monstres nocturnes. Au lieu de les caresser dans le sens du poil ou de leur prêter son flanc il en a fabriqué d’autres : animaux ou diables se retrouvent parfois calfeutrés dans ses livres pour éviter des rhumes, des orgies et surtout la cécité.
Quoique profondément terrestre et tellurique, le poète et artiste croit à la métempsychose et à la voyance.
Sa poésie peut se résumer dans les versets de son dernier et superbe livre qui, à lui seul, est la somme d’une recherche de plus de cinquante années.
Créer se résume à faire « Comme s’il y avait la terre du jour au-dessous du ciel de la nuit. Comme s’il y avait la terre de la nuit au-dessous du ciel du jour » pour atteindre la lumière et l’extase du monde.
Dès lors, son poème-fleuve interroge notre être-au-monde avec une liberté à la fois nouvelle et atemporelle, comme si cette parole nous venait des origines : “Nous ouvrons les yeux / comme si au cours / de notre voyage / dans notre tête / une étoile / dans la nuit / s’était tant rapprochée / de nous / qu’elle nous avait / éclairés / et que nous étions / sortis au-dehors pour la voir briller.”
Soleil la nuit est le troisième volet d’une trilogie, commencée avec Soleil absent (2020) puis Soleil les autres (2021). Elle est la suite logique d’une expérience artistique et poétique de Parant qui trouve son fondement en des scènes traumatiques.
Toutefois, l’artiste reste muet sur le sujet qui causa chez lui des crises de mélancolie profonde mais aussi des révoltes que lectures et images de sa jeunesse ont entretenues.
Depuis plus de soixante ans, elles donnent tout son sens à un travail auquel le créateur accorde une dimension impersonnelle, distanciée même s’il porte le monde sur son dos. Parfois sous forme de boules bien rondes qu’il s’est plu parfois à empiler (de manière compulsive, disent ceux qui ne comprennent rien).
Il n’y a là aucune imposture mais un moyen de faire la nique aux envolées mythiques par l’épreuve de la terre et le peu qu’elle est.
Ici, le soleil nocturne la remplace.
jean-paul gavard-perret
Jean-Luc Parant, Soleil la nuit, Les presses du réel — Al Dante, Paris, 2022, 56 p. — 10,00 €.