Abrupte fable est l’ouvrage qui manquait pour comprendre vraiment l’œuvre de Dotremont. L’auteur fait preuve d’une infinie clarté. Il trace quelques lignes zigzagantes qui relient la forêt des Cobra aux paysages de Laponie, où il traque la progression de quelques racines en vue de conquérir la préhistoire de l’écriture.
Le poète réapprend lentement à vivre en approfondissant avec le logogramme de nouvelles formes d’écriture.
Car chez et pour lui le logogramme n’est pas une calligraphie mais bien une écriture. Le poète voulut même un temps les nommer “anti-calligraphies”.
Car il existe dans le terme calligraphie la notion d’une beauté que l’artiste ne cherchait pas en première instance.
L’artiste s’est toujours refusé à suivre le sens de la tradition. Le logogramme diverge donc totalement du caractère religieux, mystique comme du caractère normatif et de la fonctionnalité inhérente à la calligraphie. Ni maître d’école ni métaphysicien, Dotremont cherche simplement (ce qui n’est jamais facile) la défaillance d’une lisibilité orthographique au profit d’une lisibilité plastique.
Le changement est capital : il fait de l’auteur un irrégulier parmi les irréguliers de la langue dont la Belgique regorge.
Par le logogramme, l’artiste passe le langage au pilon de la voix en le mettant dans de beaux draps, où il se tord en offrant parfois de bien étranges dentelles.
Les mots de la tribu flottent soudain en de surprenantes bannières.
jean-paul gavard-perret
Christian Dotremont, Abrupte fable, L’Atelier Contemporain, Strabourg, 2022, 256 p. — 20,00 €.