Ce roman est le premier volet des Chroniques de la place carrée. À Sainte-Té, la place carrée peut être considérée comme la Rivière de la ZUP. C’est autour de ce lieu que Tristan Saule souhaite développer une série de romans conçue comme une fresque sociale.
Il veut décrire l’évolution de cette zone populaire sur plusieurs années, chaque volet de la série étant centré sur un personnage vivant dans ce quartier.
Gaëlle, qui est craintive, est seule chez elle pendant son jour de repos. Elle a repéré une grande femme, d’allure hommasse, qui rôde dans la rue. Soudain, Gaëlle sursaute. Cette femme a le nez collé contre la fenêtre de la cuisine. En installant la fibre chez un voisin, elle a déconnecté leur accès à Internet. Elle veut réparer sa bévue. Malgré son allure inquiétante, Gaëlle la fait rentrer. Elle semble s’intéresser à beaucoup de choses dans la maison, aux membres de la famille. Juste avant de partir, elle menace Gaëlle lui disant que son mari doit payer ce qu’il doit à Mohammed, sinon…
La grande femme rejoint une camionnette où l’attend Mokhtar, le véritable agent installateur d’Internet. Sa mission est accomplie. Elle est sûre que le mauvais payeur sera averti. Mathilde, si elle ne dit rien, agit. Elle a pour voisins un couple qui est menacé d’expulsion. Mohammed a contracté des emprunts pour réaliser des travaux au noir chez le propriétaire d’une belle villa. Il ne peut plus payer son loyer. Mais les mauvais payeurs ont des ressources…
Avec ce premier volet, le romancier met en scène une femme mutique qui travaille depuis douze ans au Conseil départemental, au service d’aide sociale. Elle est quotidiennement confrontée aux malheurs de populations en situations très précaires. Elle porte un lourd secret qui ronge sa vie et l’amène à s’isoler.
L’auteur s’attache à décrire une galerie de personnages plus vrais que nature, les dépeint avec tendresse. Il montre toutes les facettes de cette humanité, n’hésitant pas à décrire, sans fards, les individus toxiques comme la collègue de Mathilde au service social, comme ces bas-du-front qui ne voient que le premier degré et ne savent mesurer les rapports humains qu’à l’aune de la force. Il présente des êtres ignobles qui profitent de la faiblesse des autres, exploitent leur misère comme ce Jean-Philippe, un agent immobilier véreux.
Mêlant roman noir et roman social, Tristan Saule donne une dimension à ces populations qui vivent en marge, à ces exclus, ces oubliés d’une société qui ne connaissent de l’économie que la survie. Avec un sens du récit, l’art de faire monter une tension, le romancier, à la façon d’un Émile Zola, d’un Charles Dickens, fixe un projecteur sur ces êtres qui ont disparu des radars.
Une réhabilitation magnifique !
serge perraud
Tristan Saule, Mathilde ne dit rien — tome 1 des Chroniques de la place carrée, Folio policier n° 950, janvier 2022, 320 p. – 8,70 €.