Dans la beauté des « Gisants » et au fond de leur absence, l’absence elle-même est donnée comme présence absolue. Le mot absolu est ici à sa place puisqu’il signale la séparation éprouvée dans toute sa rigueur (l’absolument séparé). L’écriture de Moëz Majed y est l’espace de la mort. La calligraphie de Nja Mahdaoui celle de la vie. Celle-là consacre le point où elle met l’accent sur l’épreuve de son impossibilité. Et ce jusqu’au moment où non à force mais par force il n’y a plus rien à dire.
L’écriture rend toujours incertain à soi-même voire inexistant. A l’inverse, la calligraphie la transforme. Le « rien » de la première prend forme. Et si écrire ne sauve rien, la calligraphie rend sensible — au prix d’une lucidité paradoxale — au seuil d’égarement, à l’errance que les mots ne fond que proposer.
Qu’importe donc qu’écrire soit l’erreur essentielle dont on ne se remet pas : la calligraphie permet la possibilité d’une résurrection. Elle a donc au sein des autres arts plus “plastiques” un statut particulier. Elle ne sépare pas les concepts, elle les assemble selon une autre loi de visibilité. Elle rend au logos un salut terrestre même lorsqu’il s’agit de « gisants ».
Il ne s’agit plus de les dévisager mais de les envisager. Par la rigueur qu’elle exige mais aussi et surtout par la maîtrise de Nja Mahdaoui, la calligraphie propose un lieu où le néant des gisants eux-mêmes devient pouvoir. Elle est donc le résidu magnifique et inéliminable de l’être. Il ne faut jamais renoncer à sa géométrie et à sa physique qui, en dépit de son « inscription » dans une histoire précise de l’art, reste une immensité sans lieu et sans foi.
jean-paul gavard-perret
Nja Mahdaoui, Moëz Majed, Gisants, Editions Fata Morgana, Fonfroide le Haut, 2012, 32 p.- 90,00 €.