Germain Roesz, dans son essai, plutôt que de chercher des certificats de civisme et d’identité à la poésie, prend la question sous un autre biais : “Où va la poésie ? Où est la poésie ? Que fait, que nous fait la poésie? “
En un premier temps, il trouve plus facile de la définir par ce qu’elle n’est pas. Mais son entreprise de mise au banc de ce non-être pourrait sembler devenir un exercice d’inconséquence.
En effet, résumons : la poésie n’est ni chose idiote, option ou uniquement du langage (ce qui au passage peut se discuter). Elle n’a pas forcément à être comprise. Elle n’a rien bien sûr d’une science exacte, d’une pure plaisanterie ou d’un divertissement littéraire.
Néanmoins, une fois débarrassée de tous ces postiches et du culte du tout à l’ego comme du totalitarisme, reste une autre voie: celle de la “voix” de la transformation qui — dans un monde en perdition — devient “image”.
Après avoir analysé les arcanes de la poésie dans son essai à l’aide d’exemples de divers poètes là où Jean de Breyne finit pas avoir le dernier mot, avec Dans la paroi de verre, Germain Roesz la pratique, prouvant qu’elle n’a pas à ouvrir de fenêtre puisque tout joue “dans la paroi de verre”. Et qu’importe le silence des abîmes intérieurs ou les brouillards qui cachent les paysages.
La poésie plonge dans “le trou noir” du voir pour “toucher” la couleur. Cette dernière n’est plus seulement longueur d’onde mais un écran de transformation dont la matière elle-même devient première.
Ce mot valise qu’est “poésie” prend alors tout son sens. Et ce, dans des écritures particulières, leurs renouvellements de la langue qu’elle engage, plus que d’autres genres littéraires entre l’ici et l’ailleurs à la recherche de l’inconnu et de l’ouverture.
Dans son essai comme dans son texte de création, l’auteur prouve que la poésie n’est pas un mythe mais un poisson dont l’art de la prise n’a rien de facile et qui engage l’être dans son entier. Métaphoriquement elle est là où les bateaux chavirent près d’un port entraperçu.
Les deux livres dictent moins la forme exacte du poème qu’ils ne rappellent combien celui-ci est un pressentiment.
Loin des usages fonctionnels des mots, loin de l’ordre de la prose du monde, peut être atteint — par l’observation des jours qui passent et un long travail de patience — non ce qui se monterait en neige par la prétendue magie du poème, mais ce qui maintient l’être en état de veille.
D’une certaine manière, la poésie devient ce qui dans le langage du renseignement se nomme “espion dormant”. Le plus dangereux, difficile et fascinant car il parvient à donner du nommable à une part de l’innommable. Il lève ou déchire le voile de transparence ou d’opacité pour faire jaillir ce qui se cache derrière dans un long et lent travail d’assomption et “re-remontrance”.
Cette pêche n’est pas miraculeuse. Il faut parfois se suffire de peu. Mais ce n’est déjà pas si mal.
“Je me serai même contenté de moins” aurait dit Beckett. Comme Roesz il en savait pas mal sur la question.
jean-paul gavard-perret
Germain Roesz,
– Où va la poésie ?, Vibration Editions, Strasbourg, 2021, 150 p., –17,00 €.,
– Dans la paroi de verre, Les parallèles croisées, Les Lieux-Dits, Strasbourg, 2022, 106 p. — 12,00 €.