Almut Linde, Radical Beauty

Les révé­la­tions d’Almut Linde

Almut Linde est née en 1965 à Lübeck. Elle tra­vaille avec les gens et les sys­tèmes sociaux plus qu’avec des “images”. Elle va dans les villes et dans des lieux qui a priori non pas de poten­tiel artis­tique évident. Elle suit par exemple un cirque ambu­lant ou des manœuvres mili­taires dont elle devient l’observateur sen­sible de points qui géné­ra­le­ment sont pas­sés sous silence.
Tra­vaillant avec les autres, elle déve­loppe des per­for­mances qui donnent lieu à des pho­tos, des sculp­tures et des expo­si­tions. Elles vont bien au-delà du simple rap­port docu­men­taire. L’artiste alle­mande pose des ques­tions fon­da­men­tales telles que les dif­fé­rences entre la liberté indi­vi­duelle et les struc­tures sociales. Se situant entre les concepts d’art mini­mal et d’Action Pain­ting, l’artiste a créé une esthé­tique qui au-delà des actions fait sur­gir vérité et beauté. Plus qu’une autre, elle crée l’adéquation de l’image à l’être comme si deux idiomes impo­saient des déchif­fre­ments anta­go­nistes mais tout autant com­mu­ni­cants.
L’artiste per­met de faire croire aux images, à l’appel qu’elles imposent. Le spec­ta­teur ne peut qu’être saisi par ce qui n’est jamais une vue de l’esprit mais une prise sur l’existence telle qu’elle est. Refu­sant toute neu­tra­lité, la pho­to­graphe ne contourne pas l’obstacle. Elle n’accepte que ce qui pos­sède pour elle une véri­table exis­tence. C’est pour­quoi chaque photo dis­tri­bue des por­tions d’absolu au cœur du quo­ti­dien dont la créa­trice sai­sit les pro­prié­tés phy­siques à tra­vers le corps et les situa­tions où il apparaît.

Loin de l’errance, ce tra­vail est tout sauf une expé­rience bal­bu­tiante. L’artiste nous contraint d’avancer non seule­ment dans la p ercep­tion mais dans la com­pré­hen­sion du monde. La trame de l’image n’est plus un tissu pré­caire. Mais un tissu qui tient. Quelque chose vibre en lui et sou­lève. Cela per­met de sai­sir une « chair » ou un « sang » que sans l’artiste on igno­re­rait.
Almut Linde force à cher­cher chaque fois un peu plus loin la vérité, biffe les idéo­lo­gies qui immo­bi­lisent dans une répé­ti­tion. Son œuvre ne cesse de déchi­rer un voile à tra­vers les gestes les plus simples. Ce tra­vail est un pétris­sage fer­tile, une irri­ga­tion de pay­sages dévas­tés par nos regards blo­qués. Existe tout un effort non seule­ment de recon­nais­sance mais de connais­sance. Le corps devient un seuil, son iden­tité, quelle qu’en soit la nature, sort de l’isolement et sur­git sou­dain comme une pré­sence proche.
En jaillit l’image la plus « naïve », la plus sourde. Sou­dain le silence de la dif­fé­rence et de l’indifférence recule. Almut Linde sort les dor­meurs de leur som­meil. L’œuvre devient le moyen de fran­chir un pont sus­pendu au-dessus du vide : celui de l’aveuglement pro­grammé là où chaque corps est offert en une para­doxale “ nudité ”. Nous nous immis­çons en celle-ci. Elle reste peut-être encore l’ailleurs mais celui-ci devient proche et en rien étranger.

jean-paul gavard-perret

Almut Linde, Radi­cal Beauty, texte d’Oliver Zybok, Edi­tions Hatje Cantz, Ost­fil­dern (Alle­magne), 256 p. - 39,80 €

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