Un passionnant jeu de piste à travers la vie et l’œuvre
Si certaines de ses œuvres ont traversé le temps pour venir jusqu’à notre époque afin de permettre la mesure de l’immense talent de ce peintre, la vie de celui-ci reste, à bien des égards, un mystère. L’Histoire a retenu quelques faits, quelques dates, laissant de vastes plages inconnues. Quelle tentation que vouloir combler ces lacunes, surtout quand on a la capacité pour le faire de belle manière !
De plus, les quelques données véridiques sont dignes d’un roman de cape et d’épée dans la Rome pontificale. Caravage y a écumé les tavernes, fréquenté les mauvais garçons, mais aussi l’élite cultivée de l’époque.
Sur un marché romain, Nerina, l’apprentie de Michelangelo Merisi da Caravaggio, s’inquiète Elle a revu l’homme qui rode aux abords de l’atelier.
Scipione Borghese est venu à Rome à la demande son oncle Camillo. Celui-ci brigue la tiare papale d’un Clément VIII mourant. Il veut que son neveu organise une cabale contre le parti espagnol au pouvoir au Vatican.
Enrico est le secrétaire de Fernandino Gonzaga, le fils du duc de Mantoue. Celui-ci est convoqué, au petit jour, chez Borghèse. Enrico trottine à côté de la chaise à porteur en donnant des informations à son maître quand il croise le regard de Nerina.
Des hommes viennent chercher Michelangelo, qui cuve son vin, car ils ont trouvé le corps sans vie de Lena, une prostituée qu’il appréciait comme modèle et comme compagne.
Pour faire basculer l’opinion en leur faveur, les Borghèse veulent utiliser la peinture sulfureuse du Caravaggio. Il lui commande une toile. Celui-ci met alors en chantier La Mort de la Vierge avec Lena dans le rôle de Marie et des mendiants à la place des saints.
Mais c’est le drame quand Michangelo est accusé d’un meurtre perpétré à l’issue d’une beuverie…
L’action du présent roman, structurée en quatre parties, se déroule de 1605 au 18 juillet 1610, date de la mort de Michelangelo. Ces dernières années de la vie du peintre sont particulièrement heurtées car il est sans cesse en fuite. Il quitte Rome pour Naples puis Malte, Syracuse, Palerme et retour à Naples où il tente de revenir à Rome où le pape Paul V (Camillo Borghese) lui a accordé son pardon.
Le portrait du Caravage, dressé par l’auteur, n’est pas très flatteur ni brillant mais certainement des plus authentiques. C’est un homme violent et querelleur qui a eu à faire, moult fois, à la police pontificale. C’est un grand débauché au sens de l’époque. Il boit énormément, se met en colère facilement et apprécie la compagnie des ribaudes.
Par contre, les luttes féroces que se livraient les clans d’ecclésiastiques pour faire accéder leur champion à la papauté sont tout à fait authentiques et relatées avec authenticité. Ces “religieux” sont prêts à tout pour cela et, entre le parti espagnol, italien et français, les complots vont bon train.
Le romancier livre de nombreux détails sur la vie quotidienne, sur l’environnement possible du peintre, sur les principaux tableaux peints pendant ces cinq années de fuite, de complots, de morts.
Les zones d’ombre sont nombreuses et reconstituer historiquement la vie du Caravage relève de la gageure. Peter Dempf entoure le personnage central d’une galerie de protagonistes réels et de fiction. Ainsi, le couple Nerina-Enrico est créé pour nourrir une trame romanesque car il semble que le peintre n’ait jamais eu d’apprenti,surtout une jeune femme ! Celles-ci étaient-elles capables de tenir un pinceau ?
Mais il utilise des personnages des tableaux leur donnant une dimension réelle. Ainsi, un lien peut-être établi entre Nerina et la présence, au premier plan, d’une femme dans La Mort de la Vierge. Si ce tableau est largement décrit, on trouve des éclairages précis, des commentaires, des informations sur, par exemple, La Vocation de Saint Matthieu, Les sept œuvres de la Miséricorde…
Avec Le Mystère Caravage, Peter Dempf fait revivre, à travers les cinq dernières années de sa vie, un génie de la peinture sans cacher quoi que ce soit de ses capacités picturales et de ses défauts. Il entoure ce récit d’une belle intrigue portée par des personnages attachants ou déplaisants au possible. Un grand moment de lecture !
serge perraud
Peter Dempf, Le Mystère Caravage (Das Vermächtnis des Caravaggio), traduit de l’allemand par Joël Falcoz, le cherche midi, octobre 2021, 592 p. – 22,00 €.