Retenons avec quelle audace Killer traite l’érotisme en un usage tant normal que perverti des organes. La lutte des corps est totale. Les ébats des amants deviennent une création picturale de la violence, de la violation (sans lesquelles l’amour sexuel n’aurait pu prêter dès l’aube des temps son imagerie aux descriptions de l’extase des mystiques).
Néanmoins, sous couvert de violence l’érotisme du Killer reste lié à l’espérance. L’univers viscéral, foisonnant, organique s’extrait de la constatation tragique que l’homme est sujet aux incohérents délabrements du temps. Peinture et stupre, érotisme et écriture créent un afflux dans travail baroque et splendide.
L’artiste et ses modèles se trouvent enlacés dans une étreinte lascive et provocante entre peinture de genre et graffiti qui mêle beauté et le résolument obscène et grossier pour discerner harmonie et dysharmonie entre les divergentes impulsions de l’être.
A sa manière, Killer est donc un Loup. Mais pas n’importe lequel : un Loup Andreas-Salomé.
D’une orgie commune jaillissent l’inspiration artistique et l’exaltation amoureuse. C’est pourquoi les femmes du Killer sont toujours énigmatiques, presque indéchiffrables. Certaines se donnent tard dans la nuit — s’ouvrant, recevant, éperdues, balbutiantes, gémissantes — et pleurent en prenant congé du peintre. D’autres voluptueuses, pleine d’expérience et ne forniquant pas qu’en esprit sont dévorantes et quelque peu putains.
Elles sont capables d’accueillir un membre conséquent en multipliant les mots tendres (“mon petit pigeon, mon passereau”). Un tel contraste sied comme le rouge et le noir des toiles. Les femmes gardent souvent la moralité douteuse du Vent qui répond à la rage des chiens et les soumet à la possibilité d’un dénivellement vertigineux dans ce qu’on nomme bassesses vicieuses et ordurières. Le tout en montant à la fois les jockeys et leurs chevaux.
Mais, au-delà de la femme concrète, particulière, c’est son sexe qui fascine, hante et finalement obsède : étroite bouche mauve pâle ou antre broussailleux accueillant ou parfois sinistrement étouffant comme un poulpe. Quant au sexe du Killer, il est entreprenant et agressif, bélier, boutoir, fuseau qui ne donne pas seulement l’heure mais plaisir et pilon ardent.
Il peut rouler sur chaque mégère en étant sûr de lui, l’écrasant de son poids mais parfois trop fébrile jusqu’à rater par l’ouverture de sa chair. L’impatiente, alors le prend, l’introduisant, l’enfouissant l’engloutissant en respirant très fort. Ce membre est représenté volontairement d’une façon schématique. Comme pour se moquer de lui. L’élément érotique du catch est également souligné.
C’est partout la violence de l’érotisme teinté d’humour noir jusqu’au spectacle du jaloux à l’affût des bruits d’une étreinte et qui frappe si fort à la porte de la chambre des amants qu’il se casse un os de la main, tandis que la drôlesse dans sa frénésie se fait presque éventrer par le taureau dont elle jouit.
A l’horreur de la jouissance prend place la jouissance de l’horreur. Voyez encore Killer, palette à la main mais devant la quitter au grand bonheur de la pas laide qui pose pour lui afin qu’adoration esthétique et jouissance érotique emmêlent divers types de pinceaux.
Si bien que toute assise de la peinture de bien repose sur le fondement de séants se tenant mal (l’inverse n’étant pas plus surprenant). Chaque modèle devient une oie scythe, alliée au soleil en passant dans le ciel de lit, afin que toutes les Médée retournent à l’état de nature.
jean-paul gavard-perret
(Killer suite). Dessins de Jacques Cauda.
Jacques Cauda, Surfiguration, 2021,
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