Un nouvel opus encore plus réjouissant
Dans son immense bureau céleste, Dieu veille sur ses créatures humaines. C’est son boulot et il y consacre tout son temps. Cependant, quand il remarque une situation anormale, un être en souffrance, un comportement inapproprié, il ne sait pas toujours comment résoudre le problème. En bon manager, il délègue. Il fait appel à des individus qui gravitent dans les parages.
Tonino Benacquista raconte comment sont intervenues les personnes adéquates dans quatre cas difficiles.
Chaque histoire se déroule selon la même trame avec la présentation d’une personne, le choix de l’habitant du paradis chargé de lui venir en aide et l’exécution de la mission par celui qui a été retenu.
Le premier cas concerne un individu, un conquérant “brillant, impitoyable, milliardaire, intrépide, arrogant” à qui il serait bon de donner des leçons de modestie. Dans les listes qu’il fait défiler sur l’écran piloté par son ordinateur, Dieu retient Ghandi Mohandas.
Un autre individu est si assuré de son intelligence que son unique souci consiste à remarquer la bêtise des autres. Pour le guérir de sa dépendance, Dieu lui dépêche un spécialiste en matière de connaissance et de fréquentation des cons : Michel Audiard, placé par ordre alphabétique entre Aubrac Lucie et Aymé Marcel.
C’est une petite fille à la voix remarquable qui retient l’attention du Créateur car elle est, par ailleurs, d’une modestie maladive. Lorsqu’on la regarde, elle reste sans voix. Sur ses listes, entre Cabu jean et Caruso Enrico, se place Callas Maria qu’il envoie au secours de cette talentueuse chanteuse.
Un homme a perdu confiance en l’espèce humaine. Il énumère tous les fléaux dont elle est responsable. Ému, Dieu décide de l’aider à retrouver espoir en l’humanité et demande à Victor Hugo le soin de le faire.
On pourrait craindre un côté répétitif dans la narration. Mais le scénariste évite habilement le piège, donnant un vrai rythme. Le ton est volontairement humoristique, drôle, décalé. Par exemple, on retrouve des célèbres répliques que Michel Audiard a placé dans les dialogues sur les cons comme : “Si la connerie se mesurait, tu servirais de mètre étalon.” ou “Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît.“
Les Misérables de Victor Hugo permettent de donner une belle profondeur au récit. On ne peut s’empêcher de retrouver, dans les individus secourus, des personnes publiques.
Les vignettes où apparaissent l’écran avec la liste des noms sont magnifiques tant cette suite est divertissante, cocasse pour sa diversité et l’aspect inattendu de certains patronymes. Bravo pour avoir cité Lucie Aubrac !
L’humour n’est-il, en définitive, pas le meilleur moyen de porter un regard critique ? Le scénariste ne s’en prive pas, dénonçant nombre de dysfonctionnements tant humains que sociétaux. La séquence où Victor Hugo cherche quelqu’un pour intervenir est plus que parlante.
Le dessin de Nicolas Barral, à la fois réaliste et caricatural, est tout à fait en phase avec l’esprit du scénario. Il propose des personnages très réussis et met en images de belle manière les protagonistes historiques que ce soit Maria Callas, Gandhi… Les décors restent relativement dépouillés pour mettre en valeur les intervenants.
La couleur, en teintes à dominante neutre, est l’œuvre de Marie Barral. Elle donne une dimension nouvelle aux vignettes sans faire perdre la puissance du dessin, l’intérêt des scènes et des dialogues.
Ce troisième tome se découvre avec un grand plaisir pour l’originalité de son propos et pour l’humour que s’en dégage à la fois par les histoires et par le graphisme.
lire un extrait
serge perraud
Tonino Benacquista (scénario), Nicolas Barral (dessin) & Marie Barral (couleur), Dieu n’a pas réponse à tout (Mais il sait déléguer) – t.03, Dargaud, septembre 2021, 64 p. – 16,00 €.