Jean-Claude Michéa, Les Mystères de la gauche

Une généa­lo­gie de la gauche

Dans cet essai, Jean-Claude Michéa revient sur la généa­lo­gie de la gauche pour ten­ter d’expliquer com­ment elle a fini par défendre, à l’instar de la droite moderne, le pro­jet d’une crois­sance illi­mi­tée. Com­bi­nant l’analyse cri­tique des idées avec un rap­pel his­to­rique des étapes mar­quantes qui vont “de l’idéal des Lumières au triomphe du capi­ta­lisme absolu“, le phi­lo­sophe cherche aussi à ébau­cher une nou­velle pers­pec­tive (ou uto­pie) qui redon­ne­rait de l’espoir aux déçus et aux exclus de tout bord.
Un grand nombre de ses constats emporte la convic­tion du lec­teur, qu’il s’agisse d’observer que le libé­ra­lisme éco­no­mique va de pair avec son équi­valent cultu­rel, que la droite moderne est l’équivalent approxi­ma­tif de la gauche d’autrefois, ou que les poli­tiques basées sur des valeurs morales et phi­lo­so­phiques sont natu­rel­le­ment oppo­sées à l’expansion du capi­ta­lisme.
De même, on trouve judi­cieuse la manière dont Michéa incite “la gauche de la gauche“ à chan­ger d’analyse de la situa­tion actuelle et à récu­pé­rer les indi­gnés de droite. Sa réflexion sur “le mys­ti­cisme mar­xiste du Pro­grès“, d’où découle une vision posi­tive de la grande indus­trie et une hos­ti­lité à l’égard des petits fabri­cants, des arti­sans et des pay­sans est éga­le­ment per­ti­nente. On lit son essai avec d’autant plus d’intérêt que le style de Michéa – un polémiste-né – reste vif, inci­sif et exempt de pédan­te­rie même au fil des confron­ta­tions d’idées les plus abstraites.

Cepen­dant, la der­nière page atteinte, on se retrouve déçu, peut-être pour avoir trop attendu de l’ouvrage : tout compte fait, Michéa ne pro­pose pas grand-chose d’inédit, mal­gré son brio. L’ensemble de ses sug­ges­tions esquisse, en guise d’alternative à la pen­sée poli­tique domi­nante, le pro­jet d’un néo-marxisme qui aurait pour but d’instaurer une éco­no­mie vouée à satis­faire des besoins limi­tés, dou­blée de la morale qui convien­drait pour une “société décente“ (cf. Orwell). Autre­ment dit, la solu­tion, ce serait de reve­nir aux vieilles lunes d’une manière nou­velle – bizar­re­ment, alors qu’il évoque en pas­sant les régimes com­mu­nistes, Michéa n’en tire pas les conclu­sions qui s’imposent logi­que­ment, fai­sant comme si l’expérience de l’économie pla­ni­fiée et non-consumériste n’avait pas eu lieu et n’avait pas déjà abouti à l’échec sur tous les plans, y com­pris quant à la “décence“, dans de nom­breux pays.
De façon révé­la­trice, il emploie la for­mule “société socia­liste“ en alter­nance avec “société décente“, pour par­ler de ce qui serait l’idéal, tout comme il main­tient la notion de “gauche“ après avoir démon­tré qu’elle n’a plus guère de sens…Comment alors reprendre espoir en lisant “le plus radi­cal des pen­seurs fran­çais“ (selon la for­mule de son édi­teur) après avoir décou­vert qu’il n’a même pas une notion inédite à nous offrir, en guise d’étiquette de son uto­pie consis­tant à pui­ser dans le passé idéologique ?

agathe de lastyns

Jean-Claude Michéa, Les Mys­tères de la gauche, Cli­mats, mars 2013, 144 p.- 14,00 €

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