L’Art nouveau de l’autodétermination
Molinario présente le nouveau et sixième diptyque de sa Collection “C.E.M.” A savoir, un dialogue entre deux femmes dont l’une écrit son destin, l’autre pas à travers deux photographies qui marquent la transition entre le XIXe et le XXe siècle.
L’une est anonyme et vient de l’Algérie de la fin du XIX siècle, l’autre de R. Moreau à l’orée du siècle suivant.
Toutes deux, dans leurs différents atours, l’une statique l’autre en envol, sont des papillons où les voyeurs viennent se brûler. L’une au nom d’un interdit culturel et religieux, l’autre parce que la femme met le feu aux poutres. Mais en vain.
Car dans la lumière électrique naissante, elle avait d’autres chattes à fouetter. Loïe Fuller est la femme qui aime les femmes. Dans le tourbillon de voiles de soie qui l’entourent, elle est une créature en devenir, la femme qui devient la nouvelle égérie d’un siècle à naître et où beaucoup de choses allaient changer.
Personne n’avait vu le désir comme le pathos atteindre des formes aussi libres, exubérantes, et parfois presque déjà abstraites. Avant elle, aucune artiste n’avait fait d’elle-même une œuvre d’art totale et scénique. Née en 1862 dans un des états les plus reculés des USA, elle s’est installée à New York pour pratiquer le burlesque avant sa venue à Paris aux Folies Bergère. Avec sa “Serpentine Dance” (1891), elle y créa la danse moderne.
Dans les années où la lumière électrique se transformait en une présence quotidienne, elle avait ressenti qu’une lumière intérieure pouvait changer le destin féminin. Il commença à tourbillonner. Et ce, même si aujourd’hui — et les deux photos en dialogue le rappellent — une certaine extinction des feux a lieu en Afghanistan comme dans la violence de l’Occident très moderne.
Beaucoup cherchent en effet à censurer l’énergie au lieu de la libérer. Ils effacent le corps au lieu d’effacer la nuit.
C’est pourquoi Molinario rappelle une histoire sans précédent de liberté dans l’obscurité. C’est ce qu’il nomme “L’Art nouveau de l’autodétermination.”
jean-paul gavard-perret
Ettore Molinario, Dialogues 6, CEM (Collezione Ettore Molinario), Milan, 2021.