Un premier roman remarquable, qui restera
Cette « histoire vraie » commence sur une rumeur. C’est l’histoire d’une femme qui ne parvient pas à se construire, alors qu’elle ne sait pas exactement ce qui l’en empêche. Que s’est-il passé après cette fête estudiantine où Alice, ayant beaucoup trop bu, a été raccompagnée chez elle dans une voiture avec deux jeunes joueurs de l’équipe de lacrosse ? S’est-il seulement passé quelque chose ?
Alice ne s’en souvient pas, mais les deux gars s’empressent de se vanter, dès le lendemain, d’avoir eu des attouchements avec cette dévergondée, ponctuant leur récit de détails si vraisemblables qu’on ne peut imaginer qu’ils auraient pu les inventer. Mais leur avenir est en jeu, ils sont bons joueurs de crosse, alors l’affaire ne tarde pas à être étouffée. Environ quinze ans plus tard, les protagonistes (Alice, Max, Richard) et leur entourage (Haley, Nick) ont grandi empêtrés, certains plus que d’autres, dans cette sordide histoire.
À travers un kaléidoscope, un assemblage d’éléments en apparence disparates (le récit, présent ou passé, les extraits de films de jeunesse, des brouillons annotés de lettres de candidature, des mails qui finalement ne seront sans doute pas envoyés…), un patchwork de voix narratives (celle de Nick, à la première ou à la deuxième personne du singulier ; celle d’Alice, directement ou indirectement) et de points de vue (celui de Richard, brièvement), l’auteure parvient à tisser le portrait en creux d’une époque, d’un pays, d’un milieu et d’un environnement qui sont certes marqués géographiquement et socialement, mais pourraient se transposer dans n’importe quel début de vie fracassé.
Derrière cet aspect foutraque, Kate Reed Petty réussit à maîtriser et à faire cohabiter son récit, ses intentions, ses voix. L’option des différents points de vue ajoute de la richesse à son propos, de la complexité, elle sait éviter le banal plaidoyer et ne tombe jamais dans le manichéisme. Pourtant le message passe, foudroie et reste en mémoire.
Petit bémol cependant, mais qui tient selon moi plus aux choix de traduction (d’édition), sur l’utilisation de la première personne du pluriel au passé simple dans les mots d’un étudiant qui manie par ailleurs une langue relâchée, voire argotique. Un décalage bizarre, qui aurait pu être évité par l’emploi du « on » au lieu du « nous ».
En parlant de choix, pourquoi celui de retranscrire les dialogues en italiques, sans d’ailleurs que ce soit systématique, sans guillemets la plupart du temps, mais parfois si, parfois introduits par un tiret, mais pas toujours ?
Quoi qu’il en soit, le lecteur restera longtemps hanté par ce premier roman remarquable, et c’est ce qui importe.
agathe de lastyns
Kate Reed Petty, True Story, traduit de l’anglais (US) par Jacques Mailhos, Gallmeister, août 2021, 448 p. – 24,60 €.