Du lien que l’homme doit garder avec la nature
Né à Alexandrie, d’origine libanaise, Fouad El-Etr fut élevé dans trois langues. Français, anglais, arabe. Il s’est fait connaître en France grâce aux éditions La Délirante qu’il créa en 1967, consacrées aux poètes, et peintres : Yeats, Shelley, Dante (qu’il traduisit), Balthus, Botero, etc.
Après des recueils de poésie essentiels tels que “Comme une pieuvre que son encre efface, Irascible Silence”, “Là où finit ton corps”, il présente son premier roman.
Et voici soudain le feuillage humain au sein de la fiction. Et le passage en force pour que la vie ait encore à rendre bien plus qu’un fantôme. L’auteur via son narrateur lui rend tout ce que la mort a volé.
Avec en filigrane un philosophe dont le suicide du haut de la tour Montparnasse n’aura cessé de hanter l’auteur, et sa femme, une essayiste et romancière, qui lui survécut une trentaine d’années et inspira, entre autres figures féminines, le personnage de Diane.
Tout commence dans ce récit, par l’escapade de trois jeunes gens dans une vieille propriété au fond d’une forêt. Allaient s’y graver des scènes premières d’’amitié et de d’amour. C’est alors le temps de l’insouciance et de l’innocence.
Pour les protéger — du moins tant que faire se peut -, le narrateur doit poursuivre son propre voyage initiatique après la mort de l’autre homme du trio initial.
Se découvrent la naissance et le caractère ultime et inaugural de chaque amour là où se produit l’hymen entre la nature et les corps selon une vision animiste. Les arbres deviennent des êtres vivants en écho de ceux qu’on nomme tels. Le narrateur devient “Jardinier du silence et des désirs inavoués”.
Il retourne “le terreau des phrases, le minerai des mots inanimés.” Après les temps paisibles, des décennies plus tard, un message du fils de Mathilde, la femme aimée autrefois, fait que le passé lointain resurgisse.
Se crée la confrontation de ce qui fut en des temps différents. Ceux de la vie pleine et ceux de la mort. Cette opposition ravive l’essentiel aux yeux du narrateur ; le temps de l’amour et de la nature.
Ce qui devient dans ce livre presque hors temps fait jaillir une revendication. Celle de l’urgence du lien que l’homme doit garder avec la nature.
D’où ce récit de recouvrance, le chant déchiré, déchirant face à la crainte d’un dépérissement sale.
Restent les images comme en effacement et les vocables faits d’échos et de résurgences.
jean-paul gavard-perret
Fouad El-Etr, En mémoire d’une saison de pluie, Gallimard, coll. Blanche, Paris, mai 2021, 304 p. — 20,00 €.