Qui n’est pas poursuivi par le fantôme d’un arbre ? Autour de lui louvoie une forme de volupté. Elle est suggérée dès la photographie de Christine Retz qui ouvre cet ensemble de poèmes. Chacun d’eux entre en la vibration des feuillages ou rebondit sur la peau d’écorce. Parfois, l’arbre reste un corps lointain, nous en sommes séparés. Parfois il devient silhouette d’attente et le rempart d’un monde premier.
Michel Bourçon suggère comment l’arbre nous arrache à nous-mêmes. Son injonction silencieuse est élan vital et refuge. Son royaume ne finit pas de s’incarner. Il est la source à laquelle s’abreuvent toutes les feuilles de la vie. Et dès qu’on se frotte contre lui, il en gémit. Divisant le ciel, il en emporte le quotient et forge une poussée vers l’ailleurs: il reste en cela irreprésentable. Pourtant, le miracle de la poésie l’ouvre comme lui-même perfore le paysage.
Qu’est-ce en effet que le paysage si ce n’est cet espace-temps auquel l’arbre donne des repères ou un plein par effets de bandes ou d’isolement ? Halo sentimental, symbole de vie, il demeure à la fois acteur et spectateur du monde. Il se découvre ici selon une autre matérialité physique, une autre rêverie du paysage. Le poème n’est donc plus ce qu’il est trop souvent : le refuge de l’intimité de la nature ou son simple miroir.
Bourçon fait émerger les afflux de son corps qui s’incline ou s’exhausse. Surgit la courbure de réel là où se résolvent les contradictions entre le réel et son image. Si bien que dans la forêt des songes, l’arbre devient autre chose qu’un don de mélancolie. Sa présence n’est pas un lieu ni un non-lieu : elle nous dépasse. Peut-on faire face à sa démesure ? Toujours est-il qu’il imprime un verdict dont on ne sait rien. Il faut donc s’accrocher à son tronc de vie comme on s’accroche aux branches.
jean-paul gavard-perret
Michel Bourçon, Et ainsi les arbres, Editions Potentille, Varennes Vauzelle, 7,70 €.