Didier Ayres, H.P. (Scènes de désespoir et de miracles), pièce publiée sur lelitteraire.com

Les affres de l’aliénation

Enfermé dans un asile étrange, situé dans les Alpes, un cer­tain Rou­ge­mont (dont le nom rap­pelle celui d’un célèbre phi­lo­sophe hel­vète [1]), subit l’institution. Le pitch est posé. Courtes, intenses, les douze scènes qui s’ensuivent rap­pellent dou­lou­reu­se­ment ce que repré­sente l’internement, entre trai­te­ment intense, prise de médi­ca­ments, sol­li­ci­ta­tions du per­son­nel soi­gnant et rap­ports par­fois confus avec les autres malades.

Sobre­ment inti­tu­lée H.P., mais sous-titrée « Scènes de déses­poir et de miracle », la pièce repré­sente des ano­nymes, parmi les­quels, donc, ce fameux Rou­ge­mont, quin­qua­gé­naire dont nous ne connais­sons ni l’âge exact, ni le patro­nyme puisqu’il s’appelle par­fois « Abdel­nor ». Un flou total reste entre­tenu tout au long du texte, comme s’il s’agissait de nous pla­cer dans la tête d’un fou.
Les repères spatio-temporels s’effacent, nous ne savons pas quel jour nous sommes, à quelle heure, ni même où pré­ci­sé­ment. Tout semble fuir, lais­sant place à une angoisse latente, per­ma­nente, sournoise.

Rougemont-Abdelnor tente de trou­ver ses marques, de se rat­ta­cher à des sou­ve­nirs, à des élé­ments concrets, sans suc­cès. Impi­toyable, la logique de la psy­chose s’impose.
Ne res­tent que des bribes : paroles d’autres patients, sou­ve­nirs d’une exis­tence pas­sée, d’une vie nor­male révo­lue (scène 10), dia­logues de sourds avec les infir­mières, qui tentent tant bien que mal de rai­son­ner le (les ?) malade(s), quand rapi­de­ment nous ne com­pre­nons plus qui parle à qui :

Vous savez pour­quoi vous êtes ici ?

Non.

Parce que l’on vous a trouvé errant en ban­lieue de Bâle avec un simple tri­cot sur le dos et les pieds nus.

Les didas­ca­lies sont volon­tai­re­ment ellip­tiques, les conver­sa­tions inter­rom­pues, faites de bric et de broc, de consi­dé­ra­tions sur l’identité mor­ce­lée, le temps qu’il fait. À la fin, comme pour sau­ver du déses­poir, demeure la foi.
Une sorte de croyance absurde, vaine, selon laquelle les choses peuvent chan­ger : Une issue ? Il n’y a pas d’issue, juste des miracles (…) La foi, si tu pré­fères. Puis tout s’évanouit, dans ce théâtre d’ombres.

Critique, poète [2], co-directeur de la revue L’hôte, le poly­graphe Didier Ayres a éga­le­ment consa­cré sa thèse de doc­to­rat à Kol­tès, dont l’influence est ici pal­pable. Dans un style simple et direct, l’auteur nous parle en effet admi­ra­ble­ment de la mala­die, à l’instar d’Artaud, d’Hölderlin ou Ner­val, tous créa­teurs qui res­sen­tirent en leur chair les affres de l’aliénation.

lire notre entre­tien avec l’auteur

etienne ruhaud


 Notes :

[1] Denis de Rou­ge­mont (1906–1985), auteur de Men­songe roman­tique et vérité roma­nesque, 1961.

[2] Cf. notre note de lec­ture autour de Néant, dans Dié­rèse 77.

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