Didier Ayres chercheur de rêves : entretien avec l’auteur (H.P. Scènes de déses­poir et de miracles)

Didier Ayres a publié sur le site de lelitteraire.com une pièce de théâtre remar­quable sur l’expé­rience de l’enfermement en asile psy­chia­trique. Du jus des bouches sort le poin­tillé de temps plus ou moins morts. S’ensuit dans ce mon­tage l’horloge des mou­ve­ments des mots et des corps de spectres en deve­nir. Nous sommes loin d’un théâtre des appa­rences, là où n’apparaissent qu’à peine les inflexions de souf­france.
Dans un tel lieu la mort est lente. Et ce, aux sons du requiem des étouf­fés dans des songes-dortoirs là où la seule condi­tion humaine est de clau­di­quer dans les mots. Reste l’espoir qu’au-delà des bles­sures pre­mières les enfers s’entrouvrent pour chan­ger non de peau mais de mai­son pour ceux qui, de l’amour, n’ont même pas connu ses accessoires.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Cher­cher mes rêves. Je rêve comme tout le monde. Mais j’ai sou­vent peu de sou­ve­nirs, par­fois juste un mot, quel­que­fois des images, un scé­na­rio. Je bute sou­vent, et l’impression ne per­siste pas. Une fois seule­ment le rêve m’a conduit à l’écriture : en me mimant au petit matin les didas­ca­lies d’une pièce de théâtre dont j’ai com­mencé le jour même la rédaction.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Mon étiage est davan­tage celui de l’adolescence, car à l’âge de 15 ans, je crois que j’étais à ma plus haute expres­sion, temps où tout était pos­sible, où tout fai­sait feu. Donc mon idéal c’est cet âge-là dont j’en res­sens encore de vio­lentes bouf­fées et une mélan­co­lie, une douleur.

À quoi avez-vous renoncé ?
À être acteur. Ce n’est pas tout à fait un renon­ce­ment, mais plus une impossibilité.

D’où venez-vous ?
Je viens d’une carte du ciel com­pli­quée. Un père dont le tra­vail obli­geait la famille à démé­na­ger sans cesse, un divorce où beau­coup de choses ont été per­dues pour le jeune homme que j’étais à l’époque. D’une mère encore affec­tueuse, de purs affects, sen­ti­ments inar­ti­cu­lés qui excluaient la res­source lit­té­raire. Milieu très fémi­nin, proche du gyné­cée (je connais­sais le mot à 8 ans).

Qu’avez-vous reçu en “dot” ?
L’instruction. Les études. Les diplômes. La pas­sa­tion des connais­sances. Les livres. Les œuvres d’art.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Oui, un bon­bon. Je me mets au tra­vail en buvo­tant un cara­mel, un Lutti, une pas­tille au miel, aux plantes…

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains ?
Je ne sais pas. Peut-être la variété de mes tra­vaux. Je me disais, il y a vrai­ment peu, que mon clas­se­ment comme écri­vain pour­rait se for­mu­ler ainsi : poète, dra­ma­turge, essayiste, cri­tique lit­té­raire. Est-ce le cas ? Non, je ne sais pas.

Com­ment définiriez-vous votre approche des pro­ces­sus d’enfermement ?
Voilà une ques­tion dif­fi­cile. Appro­cher l’enfermement est un tra­vail très dur. Parce que je suis un mar­cheur, un grand mar­cheur. De plus, j’ai eu dans ma vie des moments de réclu­sion très bru­taux. Cepen­dant, écrire est une dis­ci­pline qui cor­res­pond bien avec la claustration.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
La pre­mière ? Un rêve à 8 ans, tailladé par un canif. Puis, plus impor­tante, la pré­dic­tion ima­gée et allé­go­rique d’un mage : “un vol de papillons noirs sur un ciel tourmenté”.

Et votre pre­mière lec­ture ?
“Oui-Oui”, en col­lec­tion rose, suivi du “Club des Cinq” et du “Clan des Sept” dans la col­lec­tion verte, puis la col­lec­tion rouge et or. Puis…

Quelles musiques écoutez-vous ?
Je suis très ouvert. Cepen­dant, je dis­tingue quand même Bach et Debussy.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Ceux des poètes. Il y a tou­jours autre chose dans les livres des poètes, car ils se lisent selon la période où le lec­teur se retrouve. Par exemple, lire Paul Celan a été pour moi un vrai par­cours. Je l’ai ouvert sans l’atteindre à maintes reprises. Puis, un jour, cela s’est ouvert, sans que je me force, ouvert naturellement.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Il y en a plu­sieurs. Néan­moins, je crois que ces larmes me viennent sans doute à l’écoute des musiques de film. La musique m’émeut sou­vent jusqu’aux larmes. Autant pour une chan­son de variété. C’est un sujet impor­tant. D’ailleurs, j’ai publié un livre qui s’intitulait : Années, une mys­tique des larmes. Vous voyez que votre ques­tion est judi­cieuse. Je ne peux y répondre que par­tiel­le­ment car le sujet est vaste.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Mon visage. Et avec lui le tra­vail du temps. À la manière des pho­to­gra­phies quo­ti­diennes de Roman Opalka.

À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À cer­tains met­teurs en scène. J’ai essayé de nouer une rela­tion épis­to­laire avec Claude Régy, ou Jean Jourd’heuil sans un vrai suc­cès. Je ne suis sans doute pas assez mordant (?).

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le Caire. Que j’ai connu à 17 ans, et qui pour­rait tout à fait se repré­sen­ter comme un ciel noir. Puis, le site des colosses de Mem­non en Egypte, tour­nant extra­or­di­naire dans mon existence.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Cela varie. Des dra­ma­turges alle­mands comme Botho Strauss, Tho­mas Ber­nardt, et des poètes, Rit­sos ou Nazim Hyk­met. Car chez eux il y a la vie, la pal­pi­ta­tion, le souffle, la vio­lence aussi des puis­sances du langage.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
L’intégrale des films de Fassbinder.

Que défendez-vous ?
L’intégrité. La vérité. L’espoir.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas” ?
Oh ! Quel suc­cès pour cette cita­tion ! Elle est lapi­daire et épaisse, pro­fuse. L’amour serait pour moi, une den­rée qui se par­tage entre le pro­fane et le sacré, comme nous le montre l’iconographie de la pein­ture baroque. Cet amour dont parle Lacan m’évoque sur­tout l’agitation des pas­sions amou­reuses qui n’ont jamais d’issue.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
For­mule très cocasse.

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 16 février 2021.

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Filed under Entretiens, Poésie, Théâtre

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