Jean-Paul Gavard-Perret, L’amant de ma mère (livre des listes — V)

Est schi­zo­phrène, Cultive une grande tris­tesse à la pen­sée de se la faire comme de la quit­ter, Craint le beau temps et s’assied sans scru­pules sur les marches de l’hiver, Ne par­tage pas son mons­trueux pré­jugé de la chair, La prend pour une sirène où noyer son pois­son, Jau­nit à l’horizon des jon­quilles, Ignore cer­tains res­sorts du plai­sir, Si bien que ma mère pour assou­vir sa soif a besoin d’une poire en caou­tchouc, Mais lui alour­dit le silence, Dis­pose de la faculté aiguë de rap­pro­cher les extrêmes, Se sent écarté en faveur des gra­mi­nées par celle qu’il nomme sa giro­flée, Aime Queen et David Bowie, N’a jamais eu le temps d’être vrai­ment neuf, Rase les murs jusqu’à la pierre, Ne résiste pas au rouge qui tache, Se refait avec le sou­rire son épouse offi­cielle avec laquelle soi-disant il se déses­père, Se prend les pieds dans les cordes de son lyrisme à deux balles, Trouve périlleux de vieillir, Jure d’être un épi­gone inclas­sable, Ne cesse de pro­cla­mer des dis­cours sur un ave­nir impro­bable, Jure ses grands dieux, Passe au sabre clair les pos­si­bi­li­tés de désir, Et ma mère au crible, Lui bouffe l’ananas en jetant des ana­thèmes, Attend le pro­fond ennui auquel il aspire, Ras­semble toutes les cuites pour s’élever concrè­te­ment dans l’inexprimable, Tel un cou­cou se réjouit de la bêtise de celle qui lui ouvre son lit et ses cuisses, Prend les cli­que­tis du pieu pour celui d’un claque, Fait d’elle une voyante myope, Tire les mar­rons du feu, Avance lour­de­ment comme un convoi armé, Entend les ordres ter­ri­fiants de la nature humaine, S’initie à un rite que chu­chote sa voix veule et indé­ter­mi­nable, Se prend pour un éthéré déterré aux res­sources inépui­sables, Mais son plai­sir des sens reste pour moi bidon, Fait repo­ser son uto­pie sur un diges­tif ou des par­ties char­nues, Mère le dit tendre et bes­tial, Prend sa vase pour la pre­mière étape de l’extase, Est une boule chan­tante folle de sa graisse, Ignore le lieu de ses volup­tés à cause de son obé­sité, Explore son reflet dans un jar­din japo­nais, Défie les lois de la gaieté, Sti­mule l’argile et bleuit l’épaule des car­da­mines, Res­semble à un môme aster, Se pro­tège du des­tin par son visage de pous­sin, A le goût des anciens, Res­semble à un vieux puits sou­dai­ne­ment mis à jour, S’exprime avec une alti­tude où la brume est intense, Rosit comme un porc au moment du rut, Connaît la seule rébel­lion des pédants, Appelle ma mère sa petite abeille — ce qui ne manque pas de piquant, Écoute sa chair lorsque le soir des­cend, Se prend dans l’engrenage de ses pré­ten­tions, Fer­mente dans son infi­dé­lité notoire, Confond le tri­vial et le résidu, Eprouve les vel­léi­tés du cou­chant, Épuise les pro­vi­sions de ma mère avec panache (si bien qu’il ne lui reste qu’un peu de safran dans les yeux), Reste une sorte d’apothéose vis­queuse et un apoph­tegme mou, Se séduit lui-même, Ses lap­sus ramènent tout à l’humidité, Devrait par­tir, N’attend plus rien de son épouse (du moins à ce qu’il dit), Sa nos­tal­gie est l’enluminure d’une exis­tence qu’il n’a jamais vécue, Contemple l’automne avec pré­ci­sion, Résiste à la pous­sée des fou­gères, Se com­plaint à décrire ce qui meurt, Fait fri­ser les images et Passe sans égards dans les bras de sa protestante.

Quant à sa lit­té­ra­ture aux monades aus­tères, elle reste l’inverse de l’héroïsme mais elle m’aura per­mis de res­ter seul avec mes cau­che­mars et leurs monstres. Elle me force à abo­lir toute com­mu­nauté et alliance. Que lui deman­der de plus ?

Jean-Paul Gavard-Perret

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