Intéressée par tout ce qui tient de l’errance, du cérémoniel et du quotidien, Brigitte Ritschard explore diverses “maison de l’être (Bachelard) et des choses, se penchant sur leur dépérissement mais aussi leur renaissance. Elle crée un monde étrange, drôle et merveilleux là où par exemple les sachets de thé sur lesquels elle a travaillé pendant dix ans deviennent l’objet de divers traitements. Si bien que représenter le presque rien de ce qui fut implique qu’on puisse le montrer encore.
C’est une manière de ne pas refuser le réel mais de nous perdre en ses reflets. L’artiste dénude — par sculptures, installations, dessins — la langue plastique qui se prête néanmoins à une éloquence particulière. L’enracinement n’est ni dans le ciel ni dans la terre mais dans l’oeuvre, ses démarcations et ses pans et formes.
Les “restes” y sont importants et révisés pour les rendre à la vie dans le velouté de l’éphémère. Un éphémère qui dure comme perdurent les émotions que l’artiste fait naître.
Entretien:
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le soleil, quand il est là… et la lumière du matin.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils se sont effacés.
A quoi avez-vous renoncé ?
A peu de chose, à certains combats vains, et encore…
D’où venez-vous ?
De la Côte d’Or.
Qu’avez-vous reçu en “héritage” ?
L’attachement à la vigne, le goût du vin, de la fête.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Le café du matin en observant les montagnes.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Rien, je pense faire partie d’une communauté qui chaque jour se pose la même question à la manière de Mario Merz :« che fare ? ».
Comment définiriez vous votre approche des diverses “enveloppes” ?
Comme un questionnement sur le temps, sur la protection, le contenant et le contenu. Ma thèse d’arts plastiques était articulée autour d’un rituel, la proella, disparu maintenant, rituel de deuil pratiqué sur l’ile d’Ouessant : lorsqu’un marin périssait en mer, son corps était figuré par une croix que l’on réalisait avec de la cire de bougie, figure de ce corps qu’on enveloppait dans une toile blanche et qui était déposée dans une petite maison, la maison des proellas, dans le cimetière du village.
Tout ce qui constitue mon questionnement sur l’enveloppe est résumé dans ce rituel : la peau, le corps, la maison…
Quelle est la première image qui vous interpela ?
Le ciel et les nuages peut-être…
Et votre première lecture ?
Oh la la, les contes évidemment…
Quelles musiques écoutez-vous ?
La musique fait partie de ma vie, j’écoute à longueur de journée toutes sortes de musique, classique, jazz (des années 50 au jazz contemporain), la pop, la chanson française…
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Le dernier : « impossible » d’Erri de Luca que j’ai relu sitôt avoir fini la dernière page, autrement, Bachelard, Tchekov, Bouvier (je me rends compte en vous écrivant de mon coté « ogresse », affamée toujours, de musique, d’images, de mots).
Quel film vous fait pleurer ?
Les films d’Almodovar, j’aime ces passions qu’il sait si bien mettre en scène, mais le théâtre me fait plus pleurer que le cinéma.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Ma mère.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Ernest Pignon Ernest.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Aucune, je ne suis pas de la ville, je n’aime pas les villes, elles m’effraient… souvent.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
La liste est longue… les artistes : femmes d’abord… Louise Bourgeois, Kiki Smith, Jana Sterbak… Arte povera, Mario Merz et sa femme Mariza (on l’oublie souvent…), Giuseppe Penone, Georges Rousse, Ernest pignon Ernest… et j’en oublie tant. Les écrivains : en premier Diderot, un de mes aïeux, Bachelard, Rilke, Beckett… et Nicolas Bouvier qui m’a donné le goût du voyage.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Des sacoches ! pour partir en voyage avec mon vélo !
Que défendez-vous ?
J’ai mené et je mène beaucoup de combats qui me semblent de plus en plus sans espoir, pour une société plus juste.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je dirais le contraire : l’amour c’est donner ce qu’on ne veut pas à la personne qu’on aime et qui le désire ardemment.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Je répondrais en citant Simone Weill : mon premier réflexe est de dire non.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Sommes-nous perdus ?
Entretien et présentation réalisé par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 16 mai 2021.