Mes frères (Pascal Rambert / Arthur Nauzyciel)

Jamais un sans quatre

On ne sait pas vrai­ment de quoi il s’agit. Des sono­ri­tés un peu mys­té­rieuses répandent une atmo­sphère inquié­tante. Appa­raît d’abord un lacis de troncs d’arbres, sur la gauche de l’appartement où se déroule l’essentiel de l’action. Lorsque cha­cun des frères vient se pré­sen­ter, c’est avec sa tron­çon­neuse et pour tenir un dis­cours de vio­lence. Les bûche­rons disent la vita­lité d’une féroce bes­tia­lité qui habite sour­noi­se­ment l’humanité, au moins dans sa viri­lité.
Cha­cun décrit sa tâche de façon méta­pho­rique, au moyen d’expressions à conno­ta­tion sexuelle. Le décor a une froi­deur métal­lique conçue pour accueillir une cho­ré­gra­phie sérielle de la pré­ca­rité et de l’avidité, du désir et de son impos­sible alté­rité. Les maîtres sont sou­mis à la ser­vante, tou­jours res­pon­sable, tou­jours dis­po­nible, tou­jours ponc­tuelle, appa­rem­ment aussi sans cesse deman­de­resse. Mais les hommes ne for­mulent pas leur envie parce qu’ils ont peur de se faire tuer. Ils res­tent dans l’ordre du fan­tasme sté­rile et poten­tiel­le­ment destructeur.

Des des­crip­tions minu­tieuses et sym­bo­liques, jubi­la­toires, de nos acti­vi­tés élé­men­taires : scier, peler, man­ger. Une ambigüité per­ma­nente, une nar­ra­tion méta­pho­rique de nos rap­ports sexuels. On s’approche de ce que le théâtre peut faire de meilleur, en déve­lop­pant une repré­sen­ta­tion ten­due de mul­tiples forces qui s’entremêlent de façon savam­ment (in)contrôlée. Ce conte per­vers et mor­bide consti­tue une mytho­lo­gie païenne à par­tir de la mons­tra­tion du carac­tère inac­ces­sible de l’amour, conju­gué avec l’impétuosité sor­dide des pul­sions.
Mais lorsque la ser­vante, la dési­rable, prend la parole, c’est comme un désen­chan­te­ment : un être qui n’a qu’un accès limité au lan­gage ne peut déve­lop­per à ce point son dia­logue inté­rieur. Dès lors, la repré­sen­ta­tion court le risque de l’explicitation et y perd son inté­rêt, qui était nourri par l’ambivalence de nos appétits.

Un spec­tacle dif­fi­cile, qui repose sur le pari d’énoncer des pul­sions aussi déli­rantes qu’essentielles. Même si la séria­lité devient trop appa­rente, sys­té­ma­tique, une fois que la ser­vante n’est plus l’objet de l’attention mais l’autrice de l’action, reste l’expression fer­vente de la détresse rayon­nante du désir.

chris­tophe giolito

 

Mes frères

de Pas­cal Rambert

mise en scène Arthur Nauzyciel

© Phi­lippe Chan­cel, 2020 — TNB

 

avec Adama DiopMarie-Sophie Fer­dane, Pas­cal Greg­gory, Arthur Nau­zy­ciel et Guillaume Cos­tanza (en alter­nance), Fré­dé­ric Pierrot

Assis­ta­nat à la mise en scène Raphaël Haber­berg ; sta­giaire à la mise en scène Théo Heu­ge­baert ; scé­no­gra­phie Ric­cardo Hernán­dez ; lumières Scott Zie­linski ; son Xavier Jac­quot ; cos­tumes, coif­fure et maquillage José Lévy ; cho­ré­gra­phie Damien Jalet ; musique chan­son des frères Rouge Gorge (Robin Poli­gné) ; pho­to­gra­phie Phi­lippe Chan­cel ; assis­tante décor Claire Deliso ; assis­tante cos­tumes Marion Régnier ; habillage Sarah Bru­chet ; réa­li­sa­tion coif­fure et maquillage Mau­rine Bal­das­sari ; créa­tion et mou­lage épaule d’ivoire Nico­las Bros­seau ; fau­con­nier Alexandre Thé­ve­nin ; coachs lutte Yann Pan­sard, Julien Fou­ché ; conseil en cas­cade Samuel Kefi-Abrikh ; régie géné­ral Tug­dual Tre­mel ; régie son Florent Dal­mas ; régie lumière Chris­tophe Dela­rue ; régie pla­teau et effets spé­ciaux Yann Ker­rien ; tech­ni­cien HF Vas­sili Ber­trand ; construc­tion décor Ate­liers de La Col­line – théâtre natio­nal ; fabri­ca­tion des arbres et du por­trait de l’aïeul Alain Bur­karth.

 

A la Col­line, Théâtre Natio­nal, 15 Rue Malte Brun, 75020 Paris

du 30 sep­tembre au 23 octobre 2020 au Grand Théâtre

2 repré­sen­ta­tions sup­plé­men­taires : jeudi 22 et ven­dredi 23 octobre à 17h

https://www.colline.fr/spectacles/mes-freres

Durée 2h30 En rai­son de la mise en place d’un couvre-feu à par­tir de 21h en Île-de-France, l’horaire des repré­sen­ta­tions du samedi 17 au ven­dredi 23 octobre est avancé à 17h (excepté dimanche 18 octobre où le spec­tacle débute à 15h30).

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