Danielle Thiéry, Cannibale

Un thril­ler implacable 

Danielle Thiéry délaisse bien volon­tiers la com­mis­saire Marion et son équipe pour écrire des his­toires pour un public jeune. Elle a déjà pro­posé quatre enquêtes menées par Lily et Lucas, un duo d’enfants, chez Syros dans la col­lec­tion Sou­ris noire.
Elle aborde, avec Can­ni­bale, son pre­mier thril­ler des­tiné à un public de jeunes adultes. Mais comme un homme reste tou­jours un enfant, tout le monde peut abor­der ce roman sans problème.

En pré­am­bule, Roxane énonce une sorte de décla­ra­tion d’amour au ton pos­ses­sif.
Clé­ment et Rosa rentrent de la Fête de la musique quand ils manquent de ren­ver­ser une sil­houette qui se tient debout sur la route. Il s’agit d’une jeune fille cou­verte d’écorchures, au regard vide. Le méde­cin du SAMU estime qu’elle a sans doute été agres­sée et charge un infir­mier de pré­ve­nir la police.
À quelques dis­tances, une tren­taine d’adolescents d’une classe de pre­mière du lycée d’Épinal sont réunis pour fêter la musique et la fin de l’année sco­laire. Ils ont par­ti­cipé à une course d’orientation orga­ni­sée par Roxane Fla­mand, la meilleure élève de la classe, avant de se retrou­ver, à la nuit tom­bante, dans cette clai­rière. Ils n’ont pas de télé­phones, ceux-ci ayant été réqui­si­tion­nés par l’organisatrice avant la course. Ils com­mencent à s’inquiéter car Roxane, en binôme avec Rafaël, n’arrive pas. Or c’est elle qui orga­nise la suite. Olympe, une fille de la classe, angoisse. Elle pressent qu’un drame se joue dans cette forêt qui semble si hos­tile.
Des poli­ciers vont sur les lieux, accom­pa­gnés de Clé­ment et Rosa. Ils entendent de la musique et découvrent le groupe d’adolescents.
Anthony marin, capi­taine de police, pré­venu par l’hôpital, se rend au che­vet de la jeune fille. Il prend une photo, cherche des indices dans ses vête­ments déchi­rés et mouillés. Très vite les gen­darmes iden­ti­fient Roxane mais Rafaël reste introu­vable.
Et l’enquête, les recherches com­mencent. Mais pour Anthony Marin, le fait qu’Olympe soit sa fille com­plique les choses…

Une jour­née qui devait se ter­mi­ner par une soi­rée fes­tive pour ce groupe d’adolescents dérape lorsque l’une d’entre eux est retrou­vée agres­sée et qu’un autre a dis­paru. La roman­cière, qui a retenu pour cadre la belle cité d’Épinal et sa région, déploie une enquête clas­sique, les inves­ti­ga­tions que mènent les limiers en pareilles cir­cons­tances.
Cepen­dant, si le suivi des recherches est pre­nant dans la mesure où Danielle Thiéry sait de quoi elle parle et donne un ton réel à celles-ci, l’intérêt domi­nant réside dans le duo que forme Olympe et son père et dans le pro­fil de Roxane. En effet, l’enquête offi­cielle du père, celle offi­cieuse de la fille, les rap­ports que la parenté induit dans une telle situa­tion sont rap­por­tés avec brio, un indé­niable talent. Com­ment conci­lier une atti­tude de père et de flic, com­ment se démar­quer de sa famille pour plon­ger au sein des rap­ports d’un groupe d’adolescents ? Et Danielle Thiéry montre une belle connais­sance de la psy­cho­lo­gie de cet âge difficile.

L’approche de Roxane, de son stress post-traumatique, de son atti­tude ambi­guë offre une belle incer­ti­tude et un élé­ment fort en ten­sion de l’intrigue.
La roman­cière ne fait pas l’impasse sur les réseaux dits sociaux, aujourd’hui incon­tour­nables du quo­ti­dien. Elle s’en sert pour faire mon­ter la pres­sion en usant de leurs effets ampli­fi­ca­teurs, de leur pro­pen­sion à la dif­fu­sion de fausses infor­ma­tions et de la dif­fi­culté à en maî­tri­ser le flux.

Elle place, en épi­graphe un poème très par­ti­cu­lier de Bau­de­laire : L’Héautontimorouménos, qui peut se tra­duire du grec par Bour­reau à soi-même ou Qui se châ­tie lui-même.
Ce poème des Fleurs du mal exprime la dou­leur liée à une peine d’amour où le nar­ra­teur décrit ce qu’il res­sent, son mal-être et la vio­lence qui en résulte.

Avec Can­ni­bale, Danielle Thiéry renou­velle une situa­tion assez com­mune avec maes­tria et une remar­quable pers­pi­ca­cité.
Sur­tout à ne pas réser­ver qu’aux jeunes adultes !

feuille­ter un extrait

serge per­raud

Danielle Thiéry, Can­ni­bale, Syros, octobre 2020, 384 p. – 16,95 €.

Leave a Comment

Filed under Jeunesse, Pôle noir / Thriller

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>