Alessandro Robecchi, Ceci n’est pas une chanson d’amour

Polar et Com­me­dia dell’arte

Avec la ville de Naples comme décor, des indi­vi­dus de cer­taines couches sociales com­po­sant la popu­la­tion, le roman­cier détaille le par­cours de trois prin­ci­paux groupes de per­son­nages qui suivent des pistes simi­laires.
Dans une intrigue éton­nante, il dresse le por­trait d’un monde télé­vi­suel, de la police et de réseaux inquié­tants au possible.

Marino Righi est assis dans son salon face à un homme qui le menace d’un pis­to­let. Celui-ci tire, fouille l’appartement, s’active de façon métho­dique. Il repart tran­quille et rejoint une voi­ture où on l’attend.
Katia Sironi, l’agent de Carlo Mon­te­rossi ne com­prend pas pour­quoi il refuse de conti­nuer Crazy Love, l’émission qu’il a pro­duite, une émis­sion qu’il juge, main­te­nant, de merde pour la Grande télé Com­mer­ciale.
Deux hommes sont reçus par un avo­cat d’affaires pour régler le pro­blème d’un de ses clients. Celui-ci a recruté un mal­frat pour délo­ger, d’un ter­rain qu’il convoite, un cam­pe­ment de Gitans. L’affaire se passe très mal mais, depuis, le client a trouvé un chat mort dans sa voi­ture de luxe et une demande de cin­quante mille euros.

Carlo est devant l’émission qu’il refuse d’assurer quand un livreur se pré­sente. Ce der­nier, au lieu d’un colis, tient un pis­to­let. Par réflexe, Carlo jette ses trois doigts de whisky à la tête de l’homme puis le verre entier à son visage. L’homme tire et tue Bob Dylan. Carlo s’évanouit. Les voi­sins ont pré­venu la police, deux agents sont sur place ainsi que la police scien­ti­fique. Comme il y a plus de peur que de mal, on lui demande de pas­ser le len­de­main pour dépo­ser sa plainte. Dans la cui­sine, Carlo découvre un petit fla­con qui contient un… doigt humain.
Il apprend par un poli­cier que ce doigt aurait dû se retrou­ver sur son cadavre, dans un endroit incon­gru. Ils ont déjà constaté un cas simi­laire. Carlo décide, face à l’incurie poli­cière, de s’assurer de l’aide de deux amis. Et les évé­ne­ments se pré­ci­pitent, une course-poursuite-dangereuse s’engage…

Si l’intrigue est attrac­tive, le ton, la verve de l’auteur, l’art du récit emportent l’adhésion. Le style est vire­vol­tant, humo­ris­tique en diable, truffé de réflexions frap­pées au sceau du bon sens. C’est tru­cu­lent, Robec­chi usant d’images exces­sives, outran­cières qui déclenchent le rire. Il s’auto-parodie, se recon­naît des défauts de nar­ra­tion qu’il pointe lui-même.
C’est un mélange de phrases courtes et sac­ca­dées à la Céline, d’énumérations dro­la­tiques à la San Anto­nio, d’expressions à l’emporte-pièce dignes des Ton­tons flin­gueurs et autres films dia­lo­gués par Michel Audiard.

Le roman­cier détaille ces émis­sions de télé­vi­sion qui font fureur, met­tant en scène des indi­vi­dus qui exposent leur vie. Mais, il appro­fon­dit son pro­pos sur les mou­vances sou­ter­raines de la ville, les liens entre des caté­go­ries sociales, des arcanes poli­tiques, les des­sous cri­mi­nels et une police en rete­nue, taxable d’incompétence.
Il donne au pas­sage une gale­rie de per­son­nages haute en cou­leurs entre son trio de héros com­posé de ce réa­li­sa­teur de télé­vi­sion, d’une jeune sur­douée mais si révol­tée et d’un jour­na­liste. Un couple de tueurs et un duo de Gitans com­plètent heu­reu­se­ment le tableau. Ales­san­dro Robec­chi appré­cie Bob Dylan, citant régu­liè­re­ment par ailleurs des extraits de ses chan­sons, vers bien adap­tés à la situation.

Un roman tonique, servi par une intrigue sub­tile menée avec maes­tria et une théo­rie de per­son­nages dignes d’un Rabe­lais, où humour caus­tique et décalé voi­sinent avec bonheur.

serge per­raud

Ales­san­dro Robec­chi, Ceci n’est pas une chan­son d’amour (Questa non è una can­zone d’amore), tra­duit de l’italien par Paolo Bel­lomo en col­la­bo­ra­tion avec Agathe Lau­riot dit Pré­vost, édi­tions de l’aube, coll. “Noire”, août 2020, 424 p. – 21,90 €.

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