Celle qui voulait chanter des berceuses : entretien avec Marion Dessaules (Une enfance aux éclats)

Marion Des­saules dit ne pas avoir d’imagination mais il ne faut pas la croire. Chez elle, de fait, la folle du logis a bien des rap­ports avec le réel. D’où le carac­tère par­ti­cu­lier de l’oeuvre qui dépasse en den­sité et pré­gnance celle d’une Annie Ernaux et ses trucs au fil du temps ou d’une Marie-Hélène Lafon et sa naï­veté agraire.
Il existe chez l’auteure un pas au-delà. Avec une sagesse méta­phy­sique façon Camus ou Beckett. Existe dans son tra­vail comme dans sa vie une poro­sité à l’autre et une sagesse où la néces­sité de l’erreur per­met d’avancer dans ce che­min d’errance que consti­tue la vie sur­tout lorsque rien n’est acquis d’avance.

Entre­tien : 

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’envie de relire “Oblo­mov”, l’homme qui ne vou­lait plus se lever. Plus sérieu­se­ment, la pers­pec­tive d’un bon café et d’une séance de nata­tion, au temps où les pis­cines étaient encore ouvertes…

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Je les ai oubliés pour la plu­part, à part celui de deve­nir chan­teuse, de racon­ter des his­toires dans des chan­sons qui aident les gens à s’endormir, à entrer dans la nuit.

A quoi avez-vous renoncé ?
À la pen­sée magique et à comprendre.

D’où venez-vous ?
Je reviens de loin. Et je viens de là où on tourne en rond.

Qu’avez-vous reçu en “dot” ? 
Une forte myo­pie, le sens du tra­vail bien fait qui est l’autre ver­sant de la peur d’échouer, le goût de rire.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Fumer (dans mon sou­ve­nir), nager, un fou rire.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains ?
Je n’ai pas d’imagination.

Quelle part l’errance possède-t-elle dans votre oeuvre ?
L’errance tient une part essen­tielle dans ce que j’ai écrit, la dif­fi­culté majeure étant de trou­ver sa place, dans son corps et dans le monde. Le sen­ti­ment de l’exil m’a long­temps accom­pa­gnée, et c’est aussi une forme de l’errance où j’entends aussi une façon de se trom­per, de faire erreur, de rater en essayant de rater mieux comme disait Beckett.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Un petit gar­çon à la culotte bais­sée dans une école mater­nelle qui n’était pas la mienne. Une image d’une telle vio­lence que je finis par me deman­der si je ne l’ai pas inventée.

Et votre pre­mière lec­ture ?
“Oui-Oui,” ce qui explique sans doute pour­quoi j’ai tant de mal à dire non.

Quelles musiques écoutez-vous ?
J’écoute beau­coup moins de musiques que quand j’étais jeune. C’est sur­tout de la bonne variété fran­çaise : Bar­bara, Bashung, Mios­sec, Thié­faine, Sou­chon, Les Têtes Raides, Ferré, Alex Beau­pain… Je peux écou­ter la même chan­son des dizaines de fois. Ça m’inquiète tou­jours un peu, mais je me laisse tom­ber dans cet enivre­ment de la répé­ti­tion. Par­fois, je n’écoute qu’une chan­son sur tout un album. Je connais plein de chan­sons par cœur, et j’ai une culture musi­cale assez réduite.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Les Années” d’Annie Ernaux. J’aimerais le connaître par cœur, être capable de (me) le réci­ter. Je com­prends qu’on puisse deve­nir comé­dien pour être le corps d’un tel livre, sa mémoire vive et incarnée.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Presque tous ! Une Femme sous influence, La Sto­ria, La Pas­sante du Sans-Souci, À nos amours… C’est un rap­port très par­ti­cu­lier au grand écran et à la salle obscure.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Quelqu’un que je n’ai pas fini d’apprivoiser et qui me fait encore un peu peur.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À mon père.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La rue Gît-le-cœur à Paris, pour son nom qui m’a tant fait rêver et qui contient tout le désar­roi de ma jeunesse.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Annie Ernaux, Marie-Hélène Lafon, Gré­goire Bouillier, Emma­nuel Car­rère, Michel Lei­ris, pour leur refus des simu­lacres et des accom­mo­de­ments. Disons que ce sont plu­tôt des modèles, qu’ils ouvrent la voie et m’aident à trou­ver ma voix.
Une lettre de quelqu’un qui m’a oubliée. Et un maillot de bain.

Que défendez-vous ?
Le droit à l’erreur, l’infinie vul­né­ra­bi­lité de l’enfance qui dure par­fois très long­temps, la beauté du monde.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Elle a donné le la à beau­coup de mes défaites amou­reuses, mais elle me semble un peu trop sché­ma­tique et sur­tout usée par ses nom­breux emplois. Je crois par ailleurs que l’autre en veut tou­jours quand même, rien qu’un peu, et c’est là que s’engouffrent toute la folie d’aimer et tous ses malentendus.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Elle me plaît beau­coup, car j’ai ten­dance à ne pas savoir refu­ser. Je crois qu’écrire, c’est répondre oui à une ques­tion qu’on ignore, c’est s’inscrire dans un désir qu’on ima­gine de l’autre.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
« Quel est votre vers préféré ? »

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par  jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 19 mai 2020.

1 Comment

Filed under Chapeau bas, Entretiens, Romans

One Response to Celle qui voulait chanter des berceuses : entretien avec Marion Dessaules (Une enfance aux éclats)

  1. Villeneuve

    Le confi­ne­ment fut bien­venu avec ” Une enfance aux éclats ” qui sem­blait répondre à la poé­sie de Ray­mond Farina ” Eclats de vivre ” . Dumer­chez et JPGP ont tout aimé . Quant à moi que dire ? … Sub­ju­guée !
    Mais quel est votre vers pré­féré madame Dessaules ?

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