Les psychoses mentales restent encore, malgré les progrès dans ce secteur, un domaine où l’inconnu règne en maître. De plus, la complexité du psychisme humain, la variété des caractères comme des réactions, compliquent un diagnostic ou, du moins, une alerte, voire une mise en garde. C’est avec ce thème qu’Hervé Jaouen construit une intrigue inquiétante.
C’est en février 2011 que Jean-Luc demande son étude graphologique. Lorsqu’il prend connaissance des résultats, qu’il juge fallacieux, voire mensongers, les effets d’un complexe de persécution déjà amorcé, empirent. Pourtant, tout avait bien commencé pour lui, dans la vie. Né dans une famille aisée, de parents peut-être exigeants, il s’était hissé par ses études, son parcours, en position d’occuper une place enviable dans la société. Ses débuts professionnels sont prometteurs, mais trompeurs. Il est arnaqué par un employeur véreux. Ce premier échec le déstabilise. Sa confiance en lui se fissure, il commence à douter, à se méfier de tout. Après une période d’inactivité, il retrouve un emploi par l’entremise de ses parents. Mais le remède est pire que le mal. Il s’enfonce dans une paranoïa où il rend responsable tout son entourage. Les initiatives de son épouse, ceux de ses proches renforcent son ressentiment. Il coupe les liens sociaux, s’isole et se renforce dans sa conviction que l’univers entier lui veut du mal. Son entraînement, lors de son service national, lui permet de mettre en danger tous ceux qu’il flaire comme une menace, à commencer par…
Hervé Jaouen partage son roman en deux parties, correspondant aux deux facettes de la personnalité de son héros. D’abord, il raconte la vie et le parcours de Jean-Luc Gouézec quand il évolue encore avec son identité et le schizo quand il bascule totalement dans son délire. La première partie du récit est assurée par Delphine, son épouse, qui raconte l’histoire de leur couple depuis leur première rencontre. La seconde fait intervenir différents narrateurs, dont Jean-Luc quand il a basculé dans les affres liés à ses psychoses. L’auteur affecte son héros d’un sentiment de persécution aigu et d’une zoopsie. Cette dernière provoque des hallucinations visuelles d’animaux, généralement féroces. La forme la plus connue est celle des alcooliques en crise de delirium tremens.
L’auteur décrit avec précision les différentes étapes qui peuvent amener un individu à sombrer dans un état de pathologie lourde. Il expose, à travers le témoignage de son épouse, le cheminement de la maladie, l’avancement de ses phobies et ses conséquences. Il raconte les tentatives de son entourage pour l’aider, celles de son épouse qui souhaite retrouver une vie de couple. Il donne le point de vue du malade, sa perception de son environnement et son ressenti. Pour lui, il est sain d’esprit, ce sont les autres qui lui veulent du mal. C’est pourquoi il entre dans une phase de défense face à des menaces.
Cependant, l’auteur n’exonère personne, attribuant à chacun une part de responsabilité. Il cible, ainsi, les parents qui voulaient un niveau élevé pour leur fils, son épouse, le poids d’une structure sociétale qui dérape, la pression de plus en plus forte sur les individus, à qui on demande d’en faire toujours plus, avec toujours plus de résultats. A l’inverse, Hervé Jaouen s’intéresse aussi à ceux qui refusent le système, veulent vivre en marge comme ces pseudo-artistes s’installant dans une bohème qui camoufle mal, pour beaucoup, une grande paresse.
La Bretagne, tant urbaine que rurale, la Bretagne profonde, sert de décor à cette histoire. L’auteur brosse une série de portraits d’une grande vraisemblance, avec l’art de construire des personnalités étoffées, même pour les « seconds couteaux ». Il raconte un quotidien, une existence construite sur une succession des petits faits anodins. Il élabore, autour de ces personnages bien campés, une intrigue qui monte en tension, jusqu’à un final digne des meilleurs thrillers.
Dans l’œil du schizo fait prendre conscience de la gravité des maladies mentales. Avec son intrigue bien ficelée, ses personnages attachants, ce livre offre un excellent moment de lecture.
serge perraud
Hervé Jaouen, Dans l’œil du schizo, Presses de la Cité, coll. « Terres de France », octobre 2012, 320 p. – 19,50 €.