Écrire, ce pouvoir fictionnel
image ci-dessus : Balzac aujourd’hui, sculpture de l’écrivain par Rodin, au MoMA, New York. Bobistraveling/Flickr, CC BY
Réfléchir sur la substance, la nature particulière, le fondement de l’action d’écrire, en pratiquant une activité d’écriture tendant vers ce que l’on nomme littérature, devrait être au cœur de la création de chaque ouvrage. Peut-être, jusqu’à la démiurgie. En produisant ce que l’on désigne par poème, roman, ou toute occupation d’inventeur d’une forme textuelle, on travaille à construire un univers.
Mais, surtout pas dans le canal commercial et sociologique des storytelling qui sont, de fait, des actes de communication, et non de l’art.
Les lettres profitent au contraire de toute inclination, inclinaison vers des indices de communication faible. L’usage de mots simples — les plus simples possibles -, quelques figures de style, comprises non comme des buts, mais des conséquences, figures qui rendent visible le monde intérieur d’un auteur, des assonances involontaires, des épithètes chargées d’une conviction personnelle, œuvrent davantage, disent plus que la plus grande histoire d’une marque d’automobile ou de soins cosmétiques.
Cependant, nul ne sait au juste pourquoi.
Écrire suppose un pouvoir fictionnel, donné à l’écrivain, comme un possible, des possibles. Et cette fiction qui relève de la puissance intérieure qui habite le logographe, fiction arbitraire recouvrant une quête, une déambulation, une pérégrination dans ce que les mots permettent, revient à occuper du temps, à produire de la durée, un temps capable de quitter le régime banal du cours des choses. L’art.
Ce calque du temps, qui de profane devient sacré, accède grâce à l’art à une temporalité supérieure laquelle échappe presque au scripteur lui-même, le dépasse. L’écrivain ne sait que par intermittence ce qu’il écrit, et cela reste sans douter la vraie différence avec ce que contrôlent les fables commerciales, les historiettes de marques et de logos.
Je suis bien court pour expliquer davantage en quoi consiste ce cercle et cet abîme où l’art tourne, se noie, renaît, tourne encore et s’évapore dans de hautes combustions artificielles et intraduisibles, obscures, denses et puissantes, entêtantes. Je ne peux que nommer ce pouvoir fictionnel, qui consiste à la fois à retirer, à élaguer, à agir comme un sculpteur, réclame un travail de nudité, un travail de recherche qui ne supporte que l’adossement au néant, car écrire est une entreprise fortement liée au néant, à la viduité.
Et cela reste invisible aux yeux de celui qui écrit. De là la plus forte raison pour poursuivre encore ces explications intérieures qui augmentent le créateur à son insu.
Didier Ayres