Didier Ayres, Néant

Né en 1980 à Rennes, titu­laire d’un mas­ter de Lettres consa­cré à Jules Laforgue, Etienne Ruhaud vit et tra­vaille à Paris. Il a publié deux recueils de poé­sie (Petites fables, 2009, et Bes­tiaire, 2016), un essai (La poé­sie contem­po­raine en biblio­thèque, 2012), et un roman (Dis­pa­raître, 2016). Éga­le­ment blo­gueur, cri­tique et jour­na­liste, il col­la­bore entre autres à la revue Diérèse.

Une voie exi­geante, loin des sen­tiers battus

Exigeante, l’écriture de Didier Ayres paraît bien loin des effets de manche ou des consi­dé­ra­tions esthé­tiques propres à tant d’auteurs. De prime abord, cela res­semble fort à un jour­nal intime, ou plu­tôt à un jour­nal poé­tique divisé en cinq « cahiers », com­posé dans un style effi­cace, déli­bé­ré­ment dépouillé, tout en brèves nota­tions.
Avec un lan­gage pauvre (p. 21), D. Ayres tente essen­tiel­le­ment de se com­prendre, de sai­sir son être, à la manière de Montaigne.

Fidèle à son objet d’étude (qui n’est autre que lui-même), l’écrivain se regarde, se décrit, sans pour autant ver­ser dans le nar­cis­sisme lit­té­raire, le nom­bri­lisme si com­mun à la pro­duc­tion actuelle.
Ici, le moi est traité en tant que pur objet d’observation, de dis­sec­tion, avec pour seul scal­pel la plume, et pour conclu­sions médi­cales, le texte.

Ayant [son] étude pour toute occu­pa­tion, Didier Ayres semble tout entier tourné vers l’intériorité, recon­nais­sant ainsi s’enclore en une sorte de cita­delle. Si le monde vibrionne comme une ruche (p. 38), la vie monas­tique semble ten­tante à cet homme dont l’âme est un poème double et vitreux. La ten­ta­tion mys­tique n’est pas loin non plus, mais la voie semble blo­quée, pour lais­ser place au pes­si­misme, au nihi­lisme annoncé par un titre programmatique.

La mort étant la seule vraie fina­lité (p. 31), l’écriture constitue-t-elle un refuge ? Fidèle à une tâche dou­ble­ment aus­tère et irréa­li­sable, Didier Ayres n’a pas même le sou­tien d’une reli­gion vers laquelle il vou­drait tendre, en vain. En conce­vant des sortes d’épîtres (p. 95), l’homme, qui, de son propre aveu, vou­drait prendre la robe de bure, ne peut dépas­ser l’angoisse exis­ten­tielle, la cer­ti­tude de mar­cher vers la dis­pa­ri­tion, qu’en grat­tant des pages, encore et encore, avec cette obs­ti­na­tion de grif­fon­ner puis de bif­fer (p.31).
Il ne s’agit pas de com­po­ser des poèmes, de faire du bel ouvrage, de se perdre dans le vers ou dans le mor­ceau lyrique, mais bien de se sai­sir, de des­si­ner un modèle qui tou­jours échappe.

Comme si cette quête insen­sée, en appa­rence vaine, rem­pla­çait les habi­tuels exer­cices lit­té­raires. Par­fois la beauté jaillit au détour d’une phrase, d’un para­graphe, mais il s’agit en quelque sorte d’une beauté for­tuite, de la richesse invo­lon­taire d’un poème (p. 34). L’objectif n’est pas là. Nous ne jouons pas.
« Là où d’autres pro­posent des œuvres, je ne pro­pose rien d’autre que de mon­trer mon esprit », déclare Anto­nin Artaud dans L’ombilic des limbes. Pareille consi­dé­ra­tion s’applique par­fai­te­ment à ce nou­veau recueil, publié par les soins de Dja­mel Mes­kache et Tatiana Lévy, aux élé­gantes édi­tions Tarabuste.

Anima­teur d’atelier d’écriture, doc­teur ès Lettres, direc­teur de la revue L’hôte, Didier Ayres pro­pose ici une voie exi­geante, loin des sen­tiers battus.

etienne ruhaut (article paru à l’origine dans Dié­rèse 77, automne-hiver 2019)

Didier Ayres, Néant, éd. Tara­buste,  2019.

 

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