Sandra Moussempès : de la poupée brisée à la fée des songes — entretien Cinéma de l’affect (Boucles de voix off pour film fantôme)

Il y a en San­dra Mous­sem­pès une part Tori Amos, une part héroïne de David Lynch. Autant pour son roman­tisme très par­ti­cu­lier que son mys­tère et ses bles­sures. Les trau­mas de l’enfance l’ont sans doute par­tiel­le­ment bri­sée, mais elle a recollé ses mor­ceaux à tra­vers son écri­ture et la poro­sité qu’elle invente entre les mondes et les arts.
C’est le signe d’une sola­rité inté­rieure qui efface les aspects noc­turnes de cer­tains moments de la vie et des claus­tra­tions. Le côté poreux aux autres et l’hypersensibilité de la créa­trice font sa rareté et lui pré­servent la faculté de res­ter une fée des temps au moment où elles dis­pa­raissent mais dont l’époque en a de plus en plus besoin.

De l’auteure : Sunny girls, Édi­tions Poésie/Flammarion, 2015 ; Col­loque des télé­pathes & Album CD Post-Gradiva, Édi­tions de l’Attente, 2017 ; Cinéma de l’affect (Boucles de voix off pour film fan­tôme), Édi­tions de L’Attente, 2020.

 Entretien : 

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La néces­sité, car sinon je res­te­rais des heures dans mon lit pour y tra­vailler, créer et me recentrer.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Je ne m’en suis pas trop écar­tée, si ce n’est que des trau­mas sont venus les enta­cher mais ont ren­forcé du coup leur néces­sité. Expri­mer ma créa­ti­vité comme voix off inter­chan­geable et iné­luc­table, j’aime cette idée d’avoir tout en moi et que cela fasse oeuvre, le reste, la “vraie vie” m’intéresse moins, m’oppresse parfois.

A quoi avez-vous renoncé ?
Au confort, à la “nor­ma­lité”, aux rela­tions sur­faites. Au désir d’être com­prise de tous.

D’où venez-vous ?
D’une pla­nète excen­trée étrange.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Mon don d’écriture, ma voix, mon hyper­sen­si­bi­lité (qui n’est pas tou­jours simple à gérer). Ma créa­ti­vité artis­tique et la pos­si­bi­lité aussi d’avoir pu créer un autre être, mon fils. Un petit côté magi­cienne aussi.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Une tasse de thé anglais déthéiné avec un nuage de lait de soja, une bou­gie allu­mée. Un rire imprévu pen­dant une dis­cus­sion sérieuse.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres auteures ?
Je crois, ma pro­pen­sion à être ce que j’écris, la sin­gu­la­rité de mon tra­vail, avec ses thé­ma­tiques récur­rentes (le fémi­nin, le spi­ri­tisme, le cinéma), ma pra­tique paral­lèle d’artiste sonore et vocale (disques et lec­tures performées).

Com­ment définiriez-vous votre “poé­tique” ?
Lais­ser les mots par­ler à ma place, tout en me cen­trant sur une néces­sité esthétique.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Une pou­pée de por­ce­laine qui m’a été offerte par Anie Bes­nard (pre­mier amour d’Antonin Artaud et un temps com­pagne de mon père avant ma nais­sance) : lorsque j’avais six ans, elle trou­vait que cette pou­pée me res­sem­blait, j’ai beau­coup écrit sur cette pou­pée, même si j’aurais pré­féré à l’époque res­sem­bler à une pou­pée Bar­bie. Je l’ai fina­le­ment per­due au fil des déménagements.

Et votre pre­mière lec­ture ?
La Com­tesse de Ségur pour son sadisme latent et ses petite filles aux robes roses, “Les Petites filles modèles” et “Les Mal­heurs de Sophie”.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Du Dubs­tep, de l’électro/ambient (par exemple Mode­rat de New Error ou Anvil de Lorn) et du clas­sique, de l’orgue d’église (Bach). Der­niè­re­ment, j’écoutais sou­vent dans ma voi­ture un remix de Lost Fre­quen­cies (Cesa­ria de Stromae).

Quel est le livre que vous aimez relire  ?
Il y en a plu­sieurs, de la poé­sie contem­po­raine amé­ri­caine ou coréenne. Les poèmes d’Emily Dickinson.

Quel film vous fait pleu­rer ?
“Wuthe­ring Heights”, l’ancienne ver­sion, avec Merle Obe­ron. Je rajoute l’épisode de Black Mir­ror “Nose dive” que j’ai vu dix fois et qui me fait tou­jours pleu­rer aussi à la fin, tant c’est repré­sen­ta­tif de la société actuelle.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Ma ver­sion fil­mique, une Cas­sandre (un des autres pré­noms que j’ai failli por­ter) qui ne sait pas sou­rire sur com­mande, qui écrit sur les miroirs et s’y pho­to­gra­phie sans jamais avoir une réponse claire de son reflet.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A beau­coup de monde, à David Lynch par exemple.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Londres, où j’ai vécu un temps, mais aussi Los Angeles où je ne suis jamais allée.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Dans le désordre, Cindy Sher­man, Emily Dickin­son, Emily Brontë, Syl­via Plath (j’étais proche d’Olwyn Hughes, sa belle-soeur et j’ai passé des vacances chez Ted Hughes son mari quand j’étais petite), Marina Abra­mo­vic, Pipi­lott Rist, Kate Bush, David Lynch, Har­mony Korine, Miya­zaki, la Com­tesse de Ségur, Janet Frame, Car­son Mc Cullers, Gisèle Vienne,  Samuel But­ler, les Frères Powis, Mary Shel­ley, Charles Swin­burn, l’écrivaine Taeko Kono,  j’en oublie bien sûr beaucoup.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un signe du des­tin aussi beau et envoû­tant que possible.

Que défendez-vous ?
La sin­gu­la­rité, l’originalité, l’inquiétante étran­geté, là où se tisse l’humain, dans ce qui lui échappe et qui est peu acces­sible au conscient, la contem­pla­tion, l’intensité, la pas­sion amou­reuse, l’authenticité dans un monde de plus en plus sté­réo­typé où façades et faux sel­fies dominent.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Trop cynique pour moi, même s’il y a du vrai. Je pré­fère trans­mu­ter le réel car j’ai une ten­dance natu­relle au mysticisme.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Je ne suis pas sûre de comprendre.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Qu’aimeriez-vous mieux connaître ou déve­lop­per dans votre vie ? J’aimerais appro­fon­dir mes connais­sances en astrologie.

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 18 février 2020.

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