Ne pas laisser finir le “comme ça” ou retour amont
En redonnant sinon renaissance du moins relecture à “L’Iliade”, Gilbert Bourson nous permet de voir enfin le “visage” qui se cache en elle. Tout un couplage d’une prose poétique supérieure crée le passage de la guerre à l’amour, des termes de la polémologie au domaine aigu et élancé des échanges amoureux.
D’aucuns trouveront ici une interprétation excessive du texte quasi premier (et plus passionnant que l’ “Ancien Testament”). Toutefois, le désir souffle des naseaux et mâche le cuir des corps et des âmes et ce, dans une traversée des temps. Car s’il y a Homère, existent ici tout autant Lucrèce, Monteverdi pour ouvrir le bouclier de bouches qui ne sont en rien amères
En une seule et immense phrase (elle commence avant le début du livre et ne s’arrête pas à son terme) se charrient, venue de l’Empyrée , des goulées de souffles et de sueur au-delà des ultimes retenues. L’air alors s’avale entièrement dans la propension d’éros. Bourson prouve qu’une lecture seconde devient première.
Elle instaure une communauté inavouable (ou non) en lieu et place de celles qui se font face. Les pulsions changent de camp et de champs. Il n’est plus question à proprement parler de bataille même si ça ferraille sec ( mais c’est une façon de parler).
Le lien entre deux registres opposés crée une réalité opulente, charnue qui ne fait pas un trou dans le texte grec mais le verbalise en un troussage et un échevelé où les serpents célestes bavent plus qu’ils ne piquent au sein d’un transfert du carnaval funèbre de la guerre à celui de la joie des stupres.
S’il est besoin de rassurer le lecteur, précisons que Bourson ne tombe jamais dans la “pâle raison” du logos. Il offre la pâmoison car la poésie de L’Iliade, ce n’est peut-être que ça, au fond. L’auteur évite que la plaie des amendes suintante cicatrise. Il appelle des glissements dans leur fourreau où les épées s’enfoncent vers la disparition mais sans perspective d’apaisement sinon celui — progressif — du plaisir.
L’auteur crée ainsi une prolifération poétique en tout ce qui bouge au sein de considérations anatomiques, militaires voire cosmiques. Les organes prouvent que toucher n’est pas jouer tant que le fil des épées se contente de se croiser dans un théâtre tragique.
Ici, à l’inverse dans une langue richissime mais dépouillée d’éléments superfétatoires et expiatoires, de telles “phases” permettent, par la bande, à chacun de dire à l’autre : ne me laisse pas ici parmi les ombres.
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jean-paul gavard-perret
Gilbert Bourson, Phases, préface de Philippe Thireau, Tinbad éditions, coll. “Tinbad — Chant”, Paris, 2020, 80 p. — 13,00 €.
Waouh ! Belle lecture ! (De ce texte si difficile à appréhender…)