Philippe Limon, Phallus

La ques­tion du coït et de la famille

Philippe Limon nous met en pré­sence d’un nou­veau Gré­goire Samsa. Mais l’auteur veut échap­per à la malé­dic­tion du héros de Kafka comme de son auteur lorsqu’il écri­vit : “Est-ce qu’ils (mes parents) me cou­che­ront aussi dans la tombe, à l’issue d’une vie que leur sol­li­ci­tude aura ren­due heu­reuse ?” (Jour­nal, Mai 1914).
L’auteur reprend une approche qui avait réussi dans son pré­cé­dent roman Scène de la vie conju­gale. Dans ce der­nier,  de retour d’un séjour en mon­tagne, le nar­ra­teur, qui achève un essai consa­cré à “Scènes de la vie conju­gale” d’Ingmar Berg­man, découvre une culotte de sa femme macu­lée de taches de sperme..

Ici, c’est tou­jours en hiver et plus pré­ci­sé­ment le jour de Noël, au petit matin, que  le nar­ra­teur, qui achève un essai consa­cré aux méta­mor­phoses chez Franz Kafka et Phi­lip Roth, se réveille dans son lit d’enfant trans­formé en phal­lus géant. A l’inverse du héros de Kafka, celui de Limon n’a  rien d’ “affreu­se­ment rabou­gri.” Bien au contraire.
Et, comme chez Kafka, la mère est ren­due hys­té­rique par la méta­mor­phose et s’effondre. La famille, aler­tée, se ras­semble à son che­vet et cha­cun de s’accorder pour affir­mer que ce fils indigne une nou­velle fois réus­sit à gâcher la fête de Noël.

L’his­toire prend l’aspect d’un un huis clos agité et jouis­sif sur la ques­tion de la famille. La fic­tion donne corps et voix à une forme de vio­lence ou à l’aliénation inat­ten­due qui, à la fois déchire, une famille et char­pente le héros contre toute attente. Elle pro­longe aussi les sono­ri­tés loin­taines et bou­le­ver­santes de la nou­velle de Kafka en sa spi­rale axée sur la ques­tion du coït et de la famille. Les deux étant consi­dé­rés comme à la fois des exu­toires et des fata­li­tés.
Le rap­port au corps est for­cé­ment cen­tral et pré­sente sous forme de farce ou fable cli­nique des névroses avec leurs méandres et leurs érec­tions. Phi­lippe Limon y invente sa dia­lec­tique entre la vio­lence héri­tée qui ins­talle son emprise dans la vie de tout sujet et sa méta­bo­li­sa­tion pos­sible ou non.

Le schème qui va don­ner accès à la réa­lité n’est plus matri­ciel mais bel et bien phal­lique. Mais le coït est loin de prendre une valeur rédemp­trice :  la souf­france est une char­pente, un appui, un étayage. Si bien que l’homme-phallus devient stig­mate de souf­france et de réa­lité ren­due plus fla­grante.
Cette nou­velle réa­lité est une épreuve qui contri­bue à déployer la poly­sé­mie du terme phal­lique et à lais­ser appa­raître la com­plexité d’un fils auquel est attri­bué, par ce qu’il devient, une exis­tence faite de résis­tance, refus. Emergent la mise à l’épreuve des inves­tis­se­ments fami­liaux au moment où le héros flotte comme jamais dans les hau­teurs (pres­ti­gieuses ?) d’un sexe de taille humaine .

jean-paul gavard-perret

Phi­lippe Limon, Phal­lusGal­li­mard,  coll. L’infini, Paris, 2020, 144 p — 15, 00 €.

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