Les Éditions de l’aube rééditent, en un volume, trois des quatre épisodes qui composent la saga de La famille Belonore, du regretté Philippe Carrese.
Il comprend Virtuoso Ostinato (Le virtuose obstiné), Retour à San Castillo et La légende Belonore. Philippe Carrese appuie ses récits sur la découverte de vieilles photographies qui mettent en scène des individus, des groupes de personnages posant avec une certaine raideur devant des décors anciens.
Les statures, les attitudes laissent deviner les caractères, les liens qui peuvent unir quelques-uns.
Le premier volet raconte la vie de Marzio Belonore à deux périodes de sa vie. Le récit débute en 1911 quand une automobile est arrêtée près de San Castillo, un petit village blotti au cœur de la Lombardie. C’est un objet encore mythique pour les habitants. Il se poursuit en 1930 quand Marzio attend de rentrer en scène, à la Scala de Milan, pour un concert et qu’il se remémore les protagonistes, les événements qui l’ont amené où il est.
En 1911, dans l’automobile bloquée par une grosse ornière, un ingénieur révèle à Volturno Belonore, pour le convaincre de l’aider à reprendre la route, que son champ recèle un minerai précieux qui fera sa fortune. Lucio, Toma et Marzio, les trois fils, vont être victimes de la folie de leur père qui décide de créer une mine dans son champ. Ils se lancent dans une construction qui les détruira, d’une manière ou d’une autre… Vingt ans plus tard, Marzio, le virtuose, se souvient des épreuves qu’il a traversées avec ses frères, avec Ofelia, l’amour de sa vie.
Les principaux personnages du premier épisode se retrouvent dans Retour à San Castillo pour une intrigue qui se situe à la fin des années 1930. On retrouve Marzio, Ofelia, la fille qu’elle a eue avec ce dernier, mais que Volturro a épousée pour sauver son honneur. Celui-ci est devenu le patriarche du village et le chef local du parti fasciste.
De nouveaux personnages émergent tel Tancredi Crevalcore, un condottiere romain, qui ne peut pas accepter la mort de son fils Michele. Il parvient à lever le secret et ne vit que pour tuer les Belonore. Carlo Ceserano, un jeune photographe, tue pour sauver une femme de la prostitution. Le décor se transporte de l‘Abyssinie au lac Ontario, au cœur du quartier réservé dans le Marseille de l’entre-deux guerres et, bien sûr, dans le village.
C’est en 1945 que se situe l’action de La légende Belonore. La guerre se termine, l’Italie fasciste est en pleine débâcle. Carlo Ceserano fuit la justice. Vittoria, son épouse, et leur fils se réfugient à San Catello. Lucio, l’aîné des fils Belonore, revient également. Marzio a disparu. La construction du barrage, retardée par la guerre, reprend. C’est à San Catello que se jouer l’ultime duel entre Volturno et Tancredi.
En 1964, Addolorata organise une visite guidée du village abandonné de San Catello où elle raconte la légende des Belonore et la construction du barrage. Mais, cette année-là, de drôles de randonneurs font la balade.
La lecture de ces trois romans est l’occasion d’entrer dans un univers fabuleusement bien construit, peuplé par une cohorte de personnages singuliers, aux multiples facettes mais si fascinants. Les intrigues mettent en scène, à partir de quelques habitants d’un village isolé, les haines qui occupent une place importante et l’amour qui, en contrepoint, donne une humanité à ces groupes de protagonistes. Et ces deux sentiments peuvent cohabiter dans le même individu sans problème.
Le romancier dote chacun d’un caractère que l’on retrouve ailleurs qu’en Lombardie, depuis le tyran familial jusqu’à la personne fragile psychologiquement. Il fait traverser les uns et les autres par des rêves, des drames, des histoires plus ou moins secrètes, plus ou moins honteuses et par l’espoir.
Avec un ton léger, une écriture fluide, un vocabulaire familier, agrémenté de vocables italiens, Philippe Carrese offre de belles histoires qui accrochent l’attention dès les premières pages. Et il difficile d’abandonner, pour d’autres tâches, ces personnages et leurs parcours La musique, le cinéma et plus largement tout ce qui concerne la culture populaire occupent une belle place.
Certes, avec un personnage qui rêve de devenir un virtuose, il est normal que la musique soit à l’honneur. Mais elle ne freine ni n’encombre le déroulement de l’histoire. Cet écrivain possède un sens du récit qui lui permet de lier des récits à tiroirs avec une cohérence admirable.
Mais, la cerise sur le gâteau, en fait une grosse, grosse cerise, est l’humour qui baigne l’intégralité des romans. Son style pétillant, des remarques, des réflexions, des annotations marquées du bon sens mais montrées avec un angle particulier font mouche.
Le choix de ses images, les portraits saisissants concourent à donner à ces livres une dimension de fresque.
serge perraud
Philippe Carrese, La famille Belonore, Éditions de l’aube, coll. “Regards croisés”, novembre 2019, 736 p. – 25,00 €.