Un film d’horreur qui ne fait pas peur
Il ne s’agit pas ici de juger le film à l’aune de l’ouvrage dont il est issu. Il en est loin et rares sont les films tirés des œuvres de Stephen King qui peuvent souffrir la comparaison. Les univers et les personnages de l’auteur son trop riches et trop subtils pour que ces attributs puissent être portés à l’écran. Il n’est pas non plus question de juger le film à l’aune de l’aura dont bénéfice l’auteur ou du battage médiatique dont il a fait l’objet. Dans le premier cas, le film en pâtirait. Dans le second, il se parerait de louange infondées.
Non, il faut approcher ce film pour ce qu’il est seulement, hors de son contexte, comme si nous étions rentrés dans une salle obscure sans rien savoir de ce que nous allions voir.
Ainsi débarrassé de tout ce qui pourrait influencer l’opinion, qu’en tirer ?
Assurément, que cette suite, on l’attendait, presqu’avec impatience, car le premier opus était réussi (voir notre opinion de 2017 dans les colonnes du site). On voulait les revoir ces gamins touchants qui, quelque part, ressemblaient à ces gamins que nous-mêmes étions jadis. On voulait les revoir avec « un peu plus de poil au menton ». Qu’étaient-ils devenus en dépit des traumatismes de leur enfance, et par seulement ceux que leur avait infligés Pennywise ?
Adultes, s’étaient-ils défaits de leur peurs profondes ou celles-ci s’étaient-elle réfugiées dans ce coin de leur mémoire dédiée à leur enfance, prêtes à resurgir en même temps que la bête ? On voulait surtout qu’ils terminent ce qu’ils n’avaient pas pu achever, vingt-sept ans plus tôt.
Pourtant, cette fois, Ça ne prend pas vraiment. Pourquoi ?
Parce que le film nous propose une peur devenue orpheline
Le premier volet faisait appel à toutes ces peurs polymorphes qui se sont sédimentées dans notre mémoire d’enfant. Elles nous ont infiltrés même si, avec le temps, leur pouvoir s’est éteint. Mais nous ne les avons jamais oubliées. Il suffisait de nous rafraîchir la mémoire pour qu’elles l’investissent de nouveau et nous renvoient tout droit à ces nuits, passées dans le noir, à imaginer tout ce que nous ne pouvions pas voir.
A ce petit jeu, un clown tel que Pennywise faisait parfaitement l’affaire. Il réveillait ces peurs éteintes parce que nous les avons connues pour les avoir vécues, à des degrés divers. Cette peur nous était suggérée et nous la nourrissions avec notre propre vécu. S’identifier aux personnages du premier volet n’était donc pas difficile. Et, partant, nous étions capables de partager leurs peurs dans un film ou leur fiction se mêlait à notre réalité passée.
Dans le second volet, cette réalité s’envole. La peur devient orpheline, et ce, pour une raison essentielle : les véhicules choisis pour la faire naître – des créatures (se voulant) monstrueuses – n’ont pas grand-chose à voir avec ce qui, aujourd’hui, est susceptible de nous faire vraiment peur. Quel est l’adulte en mesure de rattacher ses peurs à de tels véhicules ? Aucun (ou presque).
Dès lors, la peur n’est plus, parce que ces véhicules ne nous parlent pas (sinon pour en rire), parce qu’elle nous est imposée à coûts d’artifices improbables qui ne s’enracinent nulle part, et certainement pas dans notre vécu. S’identifier aux personnages devient beaucoup plus difficile. Nous sommes incapables de partager leurs peurs dans un film ou leur fiction ne peut pas se mêler à notre réalité actuelle.
Parce que le film nous propose une peur basée sur des effets visuels enfantins
Le souci nous vient donc, en partie, des véhicules choisis : une abeille à tête de bébé ; une figurine géante qui prend vie… Ils sont enfantins. Attardons nous sur la scène où Beverley revisite son ancien appartement. Elle est parfaitement menée. Les plans, les lieux défraîchis, la tonalité des couleurs, le choix des dialogues, le personnage de la vieille dame (dont le jeu est parfait), les mouches… tout est là pour suggérer une ambiance mortifère où le temps semblait s’être arrêté.
Puis, vient le moment où cette charmante mamie révèle son vrai visage (non sans avoir, au préalable, adopté une gestuelle qui, si elle est réussie, amuse davantage qu’elle effraie) : une créature fantoche qui se rue sur Bev. Ce choix désamorce complètement la montée en puissance de l’inquiétude générée par le contexte. Et la scène, toute entière faite de suggestions réussies, se conclut sur une créature qui nous laisse pantois.
Deux questions se posent alors, et elles sont de taille dans un film d’horreur : que devient Ça, sous toutes les formes qu’il épouse, s’il ne nous effraie plus ? Que devient Ça si, à nos yeux, il n’est pas crédible qu’il puisse effrayer ses victimes ? Nul doute que dans un livre, là où les souvenirs et l’état d’esprit de Bev auraient été longuement décrits avant que ne surgisse la créature, on puisse concevoir que la victime ait été réellement effrayée. Mais, dans le film, ce contexte préparatoire est absent et prive la chute de la peur qui devait s’ensuivre.
Cela signifierait-il que plus aucune créature dans un film ne peut nous effrayer ? Evidemment, non. Mais pour y parvenir, encore faut-il qu’elles se rattachent à quelque chose qui fasse écho à une possible réalité, même très lointaine. Valak, le démon contre lequel les époux Warren luttent dans Conjuring 2 se drape de l’apparence d’une none au visage terrifiant. Il est plus effrayant que tous les monstres réunis de Ca 2 car, outre les effets visuels retenus pour nous le révéler, l’idée que l’âme puisse survivre au corps (doute que nous, adultes, n’avons pas complètement levé) et se matérialiser dans une none (figure qui ne nous est pas inconnue et qui éveille cette part de mystère ou de rejet qui entoure encore ce qui touche au religieux) raisonne en nous.
Peut-on dire la même chose pour un insecte à tête de bébé ? Toute la mécanique qui pourrait nous amener à imaginer qu’une telle créature puisse apparaître devant un personnage et l’effrayer au-delà du raisonnable ne peut exister que dans un livre, très rarement dans un film, aussi bon serait-il.
Parce que le film nous propose une horreur délayée qui n’offre plus de vision d’ensemble
L’horreur nous est essentiellement proposée à travers chacun des protagonistes, qui ont tous leur propre histoire. La vision que nous en avons est alors fragmentée dans une succession de scènes qui se répètent et font traîner le film en longueur sans surprendre ni rien apporter de nouveau puisque la mécanique est la même pour toutes les scènes. L’horreur « délayée » perd ainsi en intensité.
Partant, cette peur, censée être commune, ne s’exprime plus qu’à titre individuel et ne lie plus vraiment les personnages les uns aux autres. Or, elle était précisément leur ciment ; celui qui les avait réunis dans leur enfance et celui qui les rassemble de nouveau. Lorsqu’elle redevient commune, elle souffre d’une image peu crédible et l’on retombe sur des effets visuels enfantins. Notons (même si nous avions décidé de ne pas le faire – mais cela souligne la difficulté à retranscrire un ouvrage à l’écran) que dans l’œuvre, l’œil humain était incapable d’appréhender Pennywise sous sa véritable forme. En lui donnant une forme (plutôt que de la suggérer), le film limite, pour ne pas dire enferme, notre imagination qui n’a pas d’autre solution que de se contenter d’une représentation peu convaincante.
Parce que l’humour, très (trop ?) présent, ôte l’intensité dramatique du film
Les dialogues et beaucoup de scènes sont ponctués de répliques truffées d’humour. On apprécie. Mais, cet humour, qui s’inscrit à rebours de ce vivent les protagonistes, ôte l’intensité dramatique des événements qui les affectent. Le décalage est trop marqué et désamorce l’effroi. Lorsque la peur vous tiraille au point de vous faire perdre la raison, l’esprit se réfugie rarement dans la plaisanterie.
Parce que le final du film s’avère ridicule
Comment peut-on croire qu’une bête aux pouvoirs et à la férocité sans pareils puisse s’en trouver privée simplement parce que les victimes se mettent à ne plus y croire, lui ôtant par la même sa capacité de nuisance ? Si le processus psychologique est largement admissible, il ne peut être installé de manière subite, comme c’est le cas dans le film. Il s’agit d’un processus de longue haleine qui, s’il doit être accéléré pour les besoins d’une histoire, mérite, pour qu’on puisse l’accepter, d’être un tant soit peu développé.
Et si ce n’est pas le cas, on n’y croit pas et la chute devient ridicule ! Ne parlons même pas des choix visuels retenus pour y parvenir. Ils ne sont pas dignes de ce qui aurait dû être le glas de Pennywise.
Ce réquisitoire terminé, que reste –t-il ?
Un casting de qualité (certains personnages tirent néanmoins une bonne part de la couverture à eux) ; une photo réussie ; des effets spéciaux travaillés (même s’ils ne convainquent pas dans l’esprit et si l’usage massif des effets numériques rendent la crédibilité des perspectives et des tailles douteuse).
Mais tout cela n’est pas suffisant pour que ce second volet puisse être comparé au premier. Ne parlons même pas d’une comparaison avec l’ouvrage. Si le déroulé du film s’arrime (comme il peut) à celui du roman, il n’en traduit ni l’ambiance ni l’impact émotionnel.
En conclusion, et toutes comparaisons dehors, on visionne un film d’horreur (qui ne fait pas peur, d’ailleurs) assez banal (classique de facture, dirons les experts) qui ne se démarque pas de la concurrence contemporaine.
Darren Bryte
Ça : chapitre 2
De : Andy Muschietti
Avec : Bill Skarsgård, James McAvoy, Jessica Chastain
Genre: Epouvante-horreur
Date de sortie : 11 septembre 2019
Durée :2H50mn
Synopsis
27 ans après la victoire du Club des Ratés sur Grippe-Sou, le sinistre Clown est de retour pour semer la terreur dans les rues de Derry. Désormais adultes, les membres du Club ont tous quitté la petite ville pour faire leur vie. Cependant, lorsqu’on signale de nouvelles disparitions d’enfants, Mike, le seul du groupe à être demeuré sur place, demande aux autres de le rejoindre. Traumatisés par leur expérience du passé, ils doivent maîtriser leurs peurs les plus enfouies pour anéantir Grippe-Sou une bonne fois pour toutes. Mais il leur faudra d’abord affronter le Clown, devenu plus dangereux que jamais…