Andy Muschietti, Ça : chapitre 2

Un film d’horreur qui ne fait pas peur

Il ne s’agit pas ici de juger le film à l’aune de l’ouvrage dont il est issu. Il en est loin et rares sont les films tirés des œuvres de Ste­phen King qui peuvent souf­frir la com­pa­rai­son. Les uni­vers et les per­son­nages de l’auteur son trop riches et trop sub­tils pour que ces attri­buts puissent être por­tés à l’écran. Il n’est pas non plus ques­tion de juger le film à l’aune de l’aura dont béné­fice l’auteur ou du bat­tage média­tique dont il a fait l’objet. Dans le pre­mier cas, le film en pâti­rait. Dans le second, il se pare­rait de louange infon­dées.
Non, il faut appro­cher ce film pour ce qu’il est seule­ment, hors de son contexte, comme si nous étions ren­trés dans une salle obs­cure sans rien savoir de ce que nous allions voir.

Ainsi débar­rassé de tout ce qui pour­rait influen­cer l’opinion, qu’en tirer ?

Assu­ré­ment, que cette suite, on l’attendait, presqu’avec impa­tience, car le pre­mier opus était réussi (voir notre opi­nion de 2017 dans les colonnes du site). On vou­lait les revoir ces gamins tou­chants qui, quelque part, res­sem­blaient à ces gamins que nous-mêmes étions jadis. On vou­lait les revoir avec « un  peu plus de poil au men­ton ». Qu’étaient-ils deve­nus en dépit des trau­ma­tismes de leur enfance, et par seule­ment ceux que leur avait infli­gés Pen­ny­wise ?
Adultes, s’étaient-ils défaits de leur peurs pro­fondes ou celles-ci s’étaient-elle réfu­giées dans ce coin de leur mémoire dédiée à leur enfance, prêtes à resur­gir en même temps que la bête ? On vou­lait sur­tout qu’ils ter­minent ce qu’ils n’avaient pas pu ache­ver, vingt-sept ans plus tôt.
Pour­tant, cette fois, Ça ne prend pas vrai­ment. Pourquoi ?

Parce que le film nous pro­pose une peur deve­nue orphe­line
Le pre­mier volet fai­sait appel à toutes ces peurs poly­morphes qui se sont sédi­men­tées dans notre mémoire d’enfant. Elles nous ont infil­trés même si, avec le temps, leur pou­voir s’est éteint. Mais nous ne les avons jamais oubliées. Il suf­fi­sait de nous rafraî­chir la mémoire pour qu’elles l’investissent de nou­veau et nous ren­voient tout droit à ces nuits, pas­sées dans le noir, à ima­gi­ner tout ce que nous ne pou­vions pas voir.
A ce petit jeu, un clown tel que Pen­ny­wise fai­sait par­fai­te­ment l’affaire. Il réveillait ces peurs éteintes parce que nous les avons connues pour les avoir vécues, à des degrés divers. Cette peur nous était sug­gé­rée et nous la nour­ris­sions avec notre propre vécu. S’identifier aux per­son­nages du pre­mier volet n’était donc pas dif­fi­cile. Et, par­tant, nous étions capables de par­ta­ger leurs peurs dans un film ou leur fic­tion se mêlait à notre réa­lité passée.

Dans le second volet, cette réa­lité s’envole. La peur devient orphe­line, et ce, pour une rai­son essen­tielle : les véhi­cules choi­sis pour la faire naître – des créa­tures (se vou­lant) mons­trueuses – n’ont pas grand-chose à voir avec ce qui, aujourd’hui, est sus­cep­tible de nous faire vrai­ment peur. Quel est l’adulte en mesure de rat­ta­cher ses peurs à de tels véhi­cules ? Aucun (ou presque).
Dès lors, la peur n’est plus, parce que ces véhi­cules ne nous parlent pas (sinon pour en rire), parce qu’elle nous est impo­sée à coûts d’artifices impro­bables qui ne s’enracinent nulle part, et cer­tai­ne­ment pas dans notre vécu.  S’identifier aux per­son­nages devient beau­coup plus dif­fi­cile. Nous sommes inca­pables de par­ta­ger leurs peurs dans un film ou leur fic­tion ne peut pas se mêler à notre réa­lité actuelle.

Parce que le film nous pro­pose une peur basée sur des effets visuels enfan­tins
Le souci nous vient donc, en par­tie, des véhi­cules choi­sis : une abeille à tête de bébé ; une figu­rine géante qui prend vie… Ils sont enfan­tins. Attar­dons nous sur la scène où Bever­ley revi­site son ancien appar­te­ment. Elle est par­fai­te­ment menée. Les plans, les lieux défraî­chis, la tona­lité des cou­leurs, le choix des dia­logues, le per­son­nage de la vieille dame (dont le jeu est par­fait), les mouches… tout est là pour sug­gé­rer une ambiance mor­ti­fère où le temps sem­blait s’être arrêté.
Puis, vient le moment où cette char­mante mamie révèle son vrai visage (non sans avoir, au préa­lable, adopté une ges­tuelle qui, si elle est réus­sie, amuse davan­tage qu’elle effraie) : une créa­ture fan­toche qui se rue sur Bev. Ce choix désa­morce com­plè­te­ment la mon­tée en puis­sance de l’inquiétude géné­rée par le contexte. Et la scène, toute entière faite de sug­ges­tions réus­sies, se conclut sur une créa­ture qui nous laisse pantois.

Deux ques­tions se posent alors, et elles sont de taille dans un film d’horreur : que devient Ça, sous toutes les formes qu’il épouse, s’il ne nous effraie plus ? Que devient Ça si, à nos yeux, il n’est pas cré­dible qu’il puisse effrayer ses vic­times ? Nul doute que dans un livre, là où les sou­ve­nirs et l’état d’esprit de Bev auraient été lon­gue­ment décrits avant que ne sur­gisse la créa­ture, on puisse conce­voir que la vic­time ait été réel­le­ment effrayée. Mais, dans le film, ce contexte pré­pa­ra­toire est absent et prive la chute de la peur qui devait s’ensuivre.

Cela signifierait-il que plus aucune créa­ture dans un film ne peut nous effrayer ? Evi­dem­ment, non. Mais pour y par­ve­nir, encore faut-il qu’elles se rat­tachent à quelque chose qui fasse écho à une pos­sible réa­lité, même très loin­taine. Valak, le démon contre lequel les époux War­ren luttent dans Conju­ring 2 se drape de l’apparence d’une none au visage ter­ri­fiant. Il est plus effrayant que tous les monstres réunis de Ca 2 car, outre les effets visuels rete­nus pour nous le révé­ler, l’idée que l’âme puisse sur­vivre au corps (doute que nous, adultes, n’avons pas com­plè­te­ment levé) et se maté­ria­li­ser dans une none (figure qui ne nous est pas incon­nue et qui éveille cette part de mys­tère ou de rejet qui entoure encore ce qui touche au reli­gieux) rai­sonne en nous.
Peut-on dire la même chose pour un insecte à tête de bébé ? Toute la méca­nique qui pour­rait nous ame­ner à ima­gi­ner qu’une telle créa­ture puisse appa­raître devant un per­son­nage et l’effrayer au-delà du rai­son­nable ne peut exis­ter que dans un livre, très rare­ment dans un film, aussi bon serait-il.

Parce que le film nous pro­pose une hor­reur délayée qui n’offre plus de vision d’ensemble
L’horreur nous est essen­tiel­le­ment pro­po­sée à tra­vers cha­cun des pro­ta­go­nistes, qui ont tous leur propre his­toire. La vision que nous en avons est alors frag­men­tée dans une suc­ces­sion de scènes qui se répètent et font traî­ner le film en lon­gueur sans sur­prendre ni rien appor­ter de nou­veau puisque la méca­nique est la même pour toutes les scènes. L’horreur « délayée » perd ainsi en inten­sité.
Par­tant, cette peur, cen­sée être com­mune, ne s’exprime plus qu’à titre indi­vi­duel et ne lie plus vrai­ment les per­son­nages les uns aux autres. Or, elle était pré­ci­sé­ment leur ciment ; celui qui les avait réunis dans leur enfance et celui qui les ras­semble de nou­veau. Lorsqu’elle rede­vient com­mune, elle souffre d’une image peu cré­dible et l’on retombe sur des effets visuels enfan­tins. Notons (même si nous avions décidé de ne pas le faire – mais cela sou­ligne la dif­fi­culté à retrans­crire un ouvrage à l’écran) que dans l’œuvre, l’œil humain était inca­pable d’appréhender Pen­ny­wise sous sa véri­table forme. En lui don­nant une forme (plu­tôt que de la sug­gé­rer), le film limite, pour ne pas dire enferme, notre ima­gi­na­tion qui n’a pas d’autre solu­tion que de se conten­ter d’une repré­sen­ta­tion peu convaincante.

Parce que l’humour, très (trop ?) pré­sent, ôte l’intensité dra­ma­tique du film
Les dia­logues et beau­coup de scènes sont ponc­tués de répliques truf­fées d’humour. On appré­cie. Mais, cet humour, qui s’inscrit à rebours de ce vivent les pro­ta­go­nistes, ôte l’intensité dra­ma­tique des évé­ne­ments qui les affectent. Le déca­lage est trop mar­qué et désa­morce l’effroi. Lorsque la peur vous tiraille au point de vous faire perdre la rai­son, l’esprit se réfu­gie rare­ment dans la plaisanterie.

Parce que le final du film s’avère ridi­cule
Com­ment peut-on croire qu’une bête aux pou­voirs et à la féro­cité sans pareils puisse s’en trou­ver pri­vée sim­ple­ment parce que les vic­times se mettent à ne plus y croire, lui ôtant par la même sa capa­cité de nui­sance ? Si le pro­ces­sus psy­cho­lo­gique est lar­ge­ment admis­sible, il ne peut être ins­tallé de manière subite, comme c’est le cas dans le film. Il s’agit d’un pro­ces­sus de longue haleine qui, s’il doit être accé­léré pour les besoins d’une his­toire, mérite, pour qu’on puisse l’accepter, d’être un tant soit peu déve­loppé.
Et si ce n’est pas le cas, on n’y croit pas et la chute devient ridi­cule ! Ne par­lons même pas des choix visuels rete­nus pour y par­ve­nir. Ils ne sont pas dignes de ce qui aurait dû être le glas de Pennywise.

Ce réqui­si­toire ter­miné, que reste –t-il ?
Un cas­ting de qua­lité (cer­tains per­son­nages tirent néan­moins une bonne part de la cou­ver­ture à eux) ; une photo réus­sie ; des effets spé­ciaux tra­vaillés (même s’ils ne convainquent pas dans l’esprit et si l’usage mas­sif des effets numé­riques rendent la cré­di­bi­lité des pers­pec­tives et des tailles dou­teuse).
Mais tout cela n’est pas suf­fi­sant pour que ce second volet puisse être com­paré au pre­mier. Ne par­lons même pas d’une com­pa­rai­son avec l’ouvrage. Si le déroulé du film s’arrime (comme il peut) à celui du roman, il n’en tra­duit ni l’ambiance ni l’impact émotionnel.

En conclu­sion, et toutes com­pa­rai­sons dehors, on visionne un film d’horreur (qui ne fait pas peur, d’ailleurs) assez banal (clas­sique de fac­ture, dirons les experts) qui ne se démarque pas de la concur­rence contemporaine.

Dar­ren Bryte

Ça : cha­pitre 2

De : Andy Muschietti
Avec : Bill Skarsgård, James McA­voy, Jes­sica Chas­tain
Genre: Epouvante-horreur
Date de sor­tie : 11 sep­tembre 2019
Durée :2H50mn

Synop­sis
27 ans après la vic­toire du Club des Ratés sur Grippe-Sou, le sinistre Clown est de retour pour semer la ter­reur dans les rues de Derry. Désor­mais adultes, les membres du Club ont tous quitté la petite ville pour faire leur vie. Cepen­dant, lorsqu’on signale de nou­velles dis­pa­ri­tions d’enfants, Mike, le seul du groupe à être demeuré sur place, demande aux autres de le rejoindre. Trau­ma­ti­sés par leur expé­rience du passé, ils doivent maî­tri­ser leurs peurs les plus enfouies pour anéan­tir Grippe-Sou une bonne fois pour toutes. Mais il leur fau­dra d’abord affron­ter le Clown, devenu plus dan­ge­reux que jamais…

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