Christian Bobin, Un livre inutile

Du bon usage de l’inutilité

Ce livre reste un peu à part dans la pro­duc­tion de Chris­tian Bobin. Il répond à une de ses phrases fétiches  : ” L’écri­ture demande beau­coup de pudeur : vous allez d’autant plus faire entendre quelque chose à quelqu’un que vous ne le direz pas, que vous par­le­rez juste à côté…”. L’auteur parle donc et écrit son livre dans ceux des autres pour évo­quer leur pro­fon­deur .
Un échange se fait de manière sou­ter­raine avec les auteurs que l’écrivain aime : Clau­del, Kafka, Ramuz, Beckett, Ponge, Apol­li­naire et Gus­tave Roud. Ils deviennent des sujets de rêve­ries et de dérives. S’y ins­crit un indi­cible entre l’auteur lui-même et ses pré-textes.

Il s’oblige à un cer­tain renon­ce­ment à l’ego sans la moindre amer­tume. Bien au contraire. Hors des sen­tiers habi­tuels du com­men­taire, Bobin donne une autre force à ses modèles. “P’tit Paul” (Clau­del) devient un des sept créa­teurs rete­nus qui nous délivrent de nous-mêmes. Mais pour en arri­ver là, ce n’est pas simple.
Pour l’auteur du Par­tage de midi,  il faut deux femmes, au moins deux femmes : “la pre­mière c’est la mère, la seconde c’est l’amante”. L’une ins­talle le monde, l’autre le désaxe pour offrir “la vérité de votre misère, néces­saire pour gran­dir.” 
Néan­moins, l’auteur ne crou­pit pas dans le simple psy­cho­lo­gisme. Et il prouve com­ment l’oeuvre de Clau­del est une immense lettre à Dieu ou à la femme. Seule pour lui la seconde a dis­paru “jusqu’au tout der­nier mot, jusqu’au tout der­nier souffle — der­nier jour de l’école”.

Tous les grands écri­vains rete­nus ne sont donc d’une cer­taine façon jamais à la bonne place : “Per­sonne n’est ce qu’il fait pour gagner sa vie” écrit-il. Il arrive que cer­tains d’entre eux comme des plom­biers réparent des lava­bos “en chan­tant des airs du Don Juan de Mozart”. C’est pour­qoui il donne des espé­rances à celles et ceux qui ne les atten­daient même pas.
Preuve qu’un livre inutile n’est pas perdu pour tout le monde.

jean-paul gavard-perret

Chris­tian Bobin, Un livre inutile, Fata Mor­gana, Font­froide le haut, nou­velle édi­tion 2019, 72 p.

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