Le récent et controversé accord provisoire signé entre le Saint-Siège et les autorités de Pékin a rappelé la douloureuse et en vérité fort complexe situation de l’Eglise catholique en Chine. Douloureuse du fait des persécutions dont elle est l’objet. Complexe car l’Etat communiste cherche depuis des décennies à prendre son contrôle ce qui crée une situation de schisme avéré.
La lecture de l’étude très documentée d’Yves Chiron permet de retracer l’histoire de cette Eglise si loin de Rome et ce, à travers le temps long, de ses origines jusqu’à nos jours, de l’époque de Saint Thomas et des Nestoriens jusqu’à celle du pape François.
On découvre ainsi que l’évangélisation de la Chine s’est faite par périodes, par vagues : celle des Nestoriens en effet, puis celle du Franciscains avec Jean de Montecorvino au XIIIe siècle suivie aux XVIe et XVIIe siècles par celle des Jésuites qui eurent l’espoir de convertir l’élite, voire l’empereur à la foi du Christ. Très éclairantes sont les pages consacrées aux fameuses querelles des Termes et des Rites car elles montrent l’éternelle question de l’acculturation du christianisme dans les terres lointaines.
Les persécutions ne manquèrent pas mais il apparaît que le temps de la colonisation européenne au XIXe siècle, s’il ouvrit l’espace chinois à une vaste évangélisation, est aussi celui du nationalisme, lequel ne veut voir dans le christianisme que la religion des étrangers. D’où un surcroît dans la violence anticatholique.
Le pire arrive avec le totalitarisme communiste de Mao qui ne peut tolérer l’autonomie d’une telle structure. Ainsi voit-on à l’œuvre depuis 1949 un curieux mélange d’athéisme, de nationalisme et de protestantisme (visible celui-ci dans la réforme des « Trois Autonomies ») qui conduit Pékin sur la voie du schisme, ce rêve caressé par tous les systèmes totalitaires du XXe siècle.
Il faut couper l’Eglise de Rome pour en faire une Eglise nationale et étatique. Les Chinois y parviennent à travers le Bureau national des Affaires religieuses et l’Association patriotique catholique chinoise qui procède à des nominations épiscopales.
On comprend dès lors toute la complexité de la situation pour la papauté : maintenir les fidèles dans l’unité, ne pas rompre le contact avec la Chine, nommer des évêques et ramener vers elle les schismatiques. Yves Chiron montre en fait que la politique du Siège apostolique face à Pékin en rappelle d’autres : celles face au fascisme, au nazisme, au communisme de l’Europe orientale.
Au fil des pages qui conduisent jusqu’à l’accord de 2018 dit provisoire, on retrouve les tentatives d’accommodement d’un Pie XI ou d’un Paul VI, les doutes d’un Pie XII, les espoirs d’un Jean XXIII. Les critiques exprimées par le cardinal Zen contre cet accord rappellent celles de l’Eglise du silence dans les années 1960–1970. Ce texte en réalité – et c’est fort bien montré dans le livre – permet d’échapper au pire : des diocèses sans évêque. Mais il n’empêchera jamais les persécutions qui continuent de tomber sur les fidèles du Christ.
La compromission ou les catacombes ? La question reste entière.
frederic le moal
Yves Chiron, La longue marche des catholiques de Chine, Artège, mars 2019, 332 p. — 17, 90 €.