Pour permettre au discours de se poursuivre, Sojcher multiplie divers chemins afin de retenir les images en disparition et une vie hantée par la mort. Thanatos domine, car Eros en les récits et poèmes de l’auteur, semble déjà loin même s’il s’accroche à ses talus. Reste toujours le rêve de sortir de certaines images érectiles car “Le moi est le trou / de l’être. /Un survivant ordinaire, / un rêveur qui veille / sur la confusion /des images.“
Il y a là la recherche du sens et sa dissolution. Preuve que pour lui «la maison de l’être» chère à Bachelard reste bancale, caduque, rococo. Il n’existe de place que pour le manque. Pas ou peu d’escaliers pour s’envoyer en l’air et respirer au grand jour. Hanté par le mal, habité de démons et d’horreur, depuis l’adolescence Sojcher se donne le droit à rien ou à peu. Sauf, évidemment, le nécessaire.
A savoir, l’exercice de l’écriture. Elle lui permet non seulement d’enfreindre la loi du Rêve de ne pas parler - titre de son livre majeur — mais aussi de ne pas se suicider. Ou de ne le faire — pour ainsi dire — qu’à petit feu. L’Imaginaire n’est donc plus la réalisation d’un possible mais la “creux-ation” d’un impossible.
Pas d’épiphanie dans cette poésie, puisqu’à la fin le texte ne sera plus à venir, il sera sans avenir. Ce comment dire ou comment taire affirme en fin de parcours un rappel des Mirlitonnades de Beckett où l’auteur émet son “rien nul / n’aura été / pour rien / tant été / rien / nul”. Les mots ne doivent, ou plutôt ne peuvent plus se gonfler de valeur, ne doivent fomenter qu’une image moindre.
D’où les poèmes minimaux pris en porte-à-faux dans un mouvement sans cesse contrecarré, contrarié, afin de laisser surgir non une magie (même si on peut parler là d’une certaine magie verbale dans ce mouvement cassé et répétitif), mais un Imaginaire inversé puisqu’il ne met plus en route des virtualités au service de la présence — si ce n’est une présence en creux.
jean-paul gavard-perret
Jacques Sojcher, La confusion des visages, Dessins d’Arié Mandelbaum, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2019, 80 p. — 15,00 €.