Jacquie Barral domine tellement le dessin que ses corps de lettres rendent le corps discursif de la méditation de Bergougnioux sur l’écriture un rien ampoulé. Il est vrai que c’est là la magie mais aussi peut-être une certaine limite de tout auteur précieux. Ce qui n’enlève rien — que ce soit clair — à la qualité de l’écrivain.
Mais l’humour et les décalages de Jacquie Barral poussent une nouvelles fois de l’empire des signes et de la vieille histoire de l’art vers des empreintes vivantes, des chairs et volumes farcesques où la rustine sur les jambes des lettres tient lieu de mouche sur les visages des belles du XVIIIème siècle.
Le livre est donc parfait dans ses jeux de repons. Il est vrai que Fata Morgana fait toujours bien les choses et ramène le livre comme les liens artistes-auteurs à leur essence. Ce que Bergougnioux écrit du corps des lettres, Jacquie Barral le déplace. Le “couple” provisoire pousse le regardeur dans les retranchements de son inconscient et montre combien chaque lettre en elle-même peut s’ouvrir à des possibilités non de contre-sens mais de contre sens.
Haro donc sur le squelette de la langue. Les deux créateurs se sont bien trouvés pour illustrer — et plus — le rapport à l’écriture. Il faut toute l’épreuve de la vie pour atteindre cette majesté ironique qui ne fige rien mais pousse à un mouvement depuis le A de l’Aleph jusqu’au Z zigomard parmi l’éternel même s’il semble en signifier la fin.
jean-paul gavard-perret
Pierre Bergougnioux & Jacquie Barral, Le corps de la lettre, Editions Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2019 — 13,00.
Le livre sera présenté à la Galerie AL/MA — 5 rue du Plan du Palais, 34000 Montpellier