Leonardo Padura, La transparence du temps

Une vision peu tou­ris­tique de Cuba 

Avec La trans­pa­rence du temps, les Édi­tions Métai­lié pro­posent le neu­vième volet de la série Mario Conde. Leo­nardo Padura, jour­na­liste, scé­na­riste et écri­vain, a créé ce per­son­nage en 1989 pour Pasado per­fect (Passé par­fait — Métai­lié 2001) paru en 1991. Ce titre qui débute la saga démarre le cycle Les Quatre Sai­sons où le héros exerce la pro­fes­sion de poli­cier, état qu’il quitte dans le qua­trième épi­sode pour vivre de la recherche et de la vente de livres anciens. Il ne s’adonne à de nou­velles enquêtes qu’à titre excep­tion­nel, vivo­tant de sa nou­velle acti­vité.
Ce 4 sep­tembre 2014, Mario Conde se réveille maus­sade car il approche de la soixan­taine. Bobby, un ancien cama­rade de lycée le contacte. Il a été tota­le­ment dépouillé par Ray­del, son jeune amant, pen­dant qu’il fai­sait des affaires à Miami. Encore amou­reux il ne veut pas por­ter plainte mais demande à Mario de retrou­ver le jeune voleur. Il le rému­né­rera. Conde qui a tou­jours besoin d’argent accepte. Bobby veut sur­tout qu’il retrouve une sta­tue de vierge, sa Vierge de Regla qui lui vient de sa grand-mère et auquel il est très atta­ché. Cette sta­tue pos­sède des dons mira­cu­leux : elle  est entrée à Cuba appor­tée par Antoni Bar­ral qui fuyait l’Espagne et la guerre civile de 1936.

Mario éta­blit un plan de recherches et se rend compte qu’il vieillit : il a oublié de deman­der une photo du voyou à son cama­rade de lycée. Conde fré­quente alors les milieux où se traitent les affaires louches autour des œuvres d’art. Les pistes se croisent et s’entrecroisent alors dans un par­cours fâcheux. Un pre­mier mort jalonne son che­min, puis un second…
Ce qui paraît, au départ, la banale recherche d’un voyou va se com­pli­quer sin­gu­liè­re­ment. La traque amène le héros à fré­quen­ter dif­fé­rents milieux, celui des voyous qui tra­fiquent, qui se vendent à de riches étran­gers, celui des négo­ciants en œuvres d’art. Il va, ainsi, pas­ser des beaux quar­tiers de La Havane peu­plés par les nou­veaux riches aux bidon­villes où s’entasse une popu­la­tion de migrants nou­vel­le­ment arri­vés à Cuba. Il va devoir com­po­ser avec cette classe nou­velle qui pro­fite de l’ouverture du gou­ver­ne­ment de Raoul Cas­tro vers plus de libé­ra­lisme. Il va être confronté à la misère extrême des habi­tants de ces sortes de fave­las se deman­dant com­ment ces gens peuvent sub­sis­ter dans de telles conditions.

La Vierge qu’il doit retrou­ver n’est pas ordi­naire et va exci­ter des convoi­tises, être la cause de meurtres et d’une mise en grave dan­ger de l’enquêteur lui-même. Paral­lè­le­ment, Leo­nardo Padura décrit, avec force détails et beau­coup de pré­ci­sions sur les époques tra­ver­sées, les tri­bu­la­tions de la sta­tue, remon­tant jusqu’au Moyen Age, aux croi­sades, au siège de Saint-Jean d’Acre.
Mais, avec la quête de Conde le roman­cier raconte aussi, avec nos­tal­gie, avec un cer­tain spleen, l’avancée en âge, le temps qui passe et ses consé­quences. Mario qui a tou­jours été, selon ses moyens, un adepte fervent de l’épicurisme est mis à un début de régime par Tamara sa com­pagne. On sai­sit le sens du titre.

L’auteur, cepen­dant, montre un Mario Conde sou­cieux de la décré­pi­tude de son pays et de ses habi­tants, les voyant évo­luer vers des pra­tiques plus que dou­teuses. Il pointe les dys­fonc­tion­ne­ments de la société cubaine, la cor­rup­tion, les injus­tices, les tra­fics en tous genres. Il évoque la pros­ti­tu­tion des jeunes gens qui se vendent à des tou­ristes, des vieilles et des vieux atti­rés par leur vigueur. Il raconte nombre d’anecdotes sur le passé, l’obligation d’assister à des mee­tings poli­tiques récur­rents, les chaus­sures russes plus dures que la glace de Sibé­rie, les ersatz, les dif­fi­cul­tés pour se nour­rir.
Il relate la chasse aux homo­sexuels consi­dé­rés comme des pes­ti­fé­rés, les Jeu­nesses Com­mu­nistes comme mar­che­pied vers un meilleur sta­tut. Mais il évoque éga­le­ment quelques points posi­tifs comme la pos­si­bi­lité d’une ascen­sion sociale pour les plus méri­tants. Il truffe son récit d’anecdotes, de remarques sur tous les sujets, confes­sant son amour pour son pays, pour les valeurs de l’amitié et brosse une gale­rie de per­son­nages sin­gu­liers mais attachants.

Vivant tou­jours à La Havane, il a dû écrire des récits sub­ti­le­ment agen­cés pour contour­ner la cen­sure. Roman­cier à la renom­mée inter­na­tio­nale, il reste qua­si­ment ano­nyme à Cuba où les médias, sous le contrôle de l’État, l’ignorent. La trans­pa­rence du temps se révèle un roman majeur, éru­dit, riche en sur­prises et en infor­ma­tions de toutes natures sur la société cubaine et une superbe intrigue tor­tueuse à sou­hait.
Un véri­table plai­sir de lecture !

serge per­raud

Leo­nardo Padura, La trans­pa­rence du temps (La trans­pa­ren­cia del tiempo), tra­duit de l’espagnol (Cuba) par Elena Zayas, Édi­tions Métai­lié, coll. “Biblio­thèque hispano-américaine”, jan­vier 2019, 432 p. — 23,00 €.

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