Les fictions et les poèmes de Zoé Baltic ouvrent sur l’intimité de diverses demeures. Des femmes y exposent l’imminence d’instants suspendus d’une histoire ou de diverses rencontres qui ne se font pas toutes au-dessus du vide. L’artiste les expose. Elles viennent moins du ciel que des tréfonds de l’être dont elles remontent en divers cadres.
Il s’agit là d’une fonction de l’image (sans forcément qu’il s’agisse de métaphores) entre la lumière et un juste rapport d’ombres Il y a toujours des encadrements, des détachements, des sorties avec des touches d’humour ou d’intensité plus grave afin de travailler l’intime au sein de diverses voix. Nous atteignons le seuil d’un monde entre le dehors et le dedans tout en restant devant lui. Il s’offre en fragmentations parce que toute totalité d’un seul sens ne serait qu’une vue de l’esprit. Or, ici, le corps parle dans la traversée des affres de la peur et (surtout) du désir.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La pulse de vie, le chat qui miaule devant sa gamelle vide, le besoin pressant de dire merci, encore la pulse de vie, l’envie de faire pipi, l’impérieux des mots qui manquent, un poème inachevé, toujours la pulse de vie, l’idée d’un bol de thé Chaï et la douce chaleur du désir.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Des réalités, mais en bien plus drôles, bien plus décapantes et surtout ô combien plus surprenantes !
A quoi avez-vous renoncé ?
À une carrière de basketteuse (je mesure 1m55 et beaucoup moins au garrot) ou de metteur en scène
D’où venez-vous ?
D’un trou noir, big bang improbable entre gamètes de deux êtres aux antipodes l’un de l’autre.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
De ma mère, une autorisation à être, surtout en dehors des clous ; de mon père une capacité d’analyse (qui m’a permis de gagner ma vie) ; de mes frères et (nombreuses) grandes sœurs des explorations tous azimuts qui ont créé tant d’horizons. D’eux tous réunis, un sentiment de joyeux bazar sur fond d’apprendre à l’ouvrir si on veut exister dans la tribu.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Joker ! (Non mais …)
Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains ?
(Alors, comme ça, je serais un écrivain, je veux dire… un « vrai » écrivain ?…) Je ne sais pas ce qui me distinguerait, mon écriture surgit le plus souvent d’un cri.
Quand passez-vous du poème à la fiction (et vice-versa) ?
Je prends ce qui est là, quand c’est là, si ça veut bien ; je ne cherche pas à résister, à aller contre. Poème, fiction, scénarios, ouvrages professionnels très sérieux (et pas fantaisistes pour un sou), quand ça écrit en moi, je me laisse écrire. Toutefois, il m’est facilitant d’avoir une « adresse », un regard, une oreille ; j’aime écrire sur la commande d’un autre.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Guernica de « Capisso », vous savez, le tableau où c’est tout mélangé…
Et votre première lecture ?
“Mon amie Flicka”, une amitié (juste mélo comme il faut) d’une petite fille avec un cheval, je devais avoir 9 ou 10 ans, je l’ai lu d’un seul souffle.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Les vêpres de Rachmaninov, Tokyo Adaggio, Le Trio Joubran, Jacob Jozef Orlinski et les voix de contre-ténor, Chet Baker, Bertrand Chamayou, certains chœurs russes, Barbara quelquefois (pour la béance d’un passé). Aussi la musique des mots qui se font et se défont ; et celle des insectes en été
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“L’insoutenable légèreté” de l’être, de Kundera. Au moins autant que la trilogie de Stefansson [Entre ciel et terre, La Tristesse des anges et Le Cœur de l’homme, ndr].
Quel film vous fait pleurer ?
La Cène dans” Des dieux et des hommes”. “Carré 35″, cette violence du déni. Une scène d’un film dont je ne sais rien (l’ai-je rêvée ?) : un homme, dos au mur et mains liées derrière le dos, tenu en joue par les carabiniers, se met à chanter ; le filet hésitant d’une voix contenue se fraie un chemin incertain ; puis le timbre se fait clair. La voix s’élève, les bourreaux donnent à voir leur fébrilité. Le doigt sur la gâchette, ils s’en remettent à l’ordre du gradé qui met fin à cette insoutenable liberté de l’homme.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un singulier pluriel, une petite fille facétieuse, une ado rebelle, une femme debout, une mère louve, une quasi vieille dame sage et pas mal déjantée.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À Arrabal. Lycéenne, un exposé sur « l’architecte et l’empereur d’Assyrie » m’avait valu mes premières immenses émotions théâtrales (et, accessoirement, une note de 20/20).
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le Vercors, une terre d’ancrage qui n’en finit pas de m’en conter.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Comme ça vient, Wajdi Mouawad, Nancy Huston, Miquel BarcelÒ, Laurent Gaudé, Marie Balmary, Stefansson, Jérôme Bosch, Rembrandt, Sylvie Germain, Carole Martinez, Daniel Keene, Jeanne Benameur, Maylis de Kerangal, Kundera, Jodorowsky…
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Des mots. Des mots qui font rire et pleurer, des mots qui parlent, des mots qui embarquent, des mots qui taisent. Ceux qui téléportent au-dessus de la mêlée. À l’instar de ceux de Neruda, des mots revêtus d’ombre et de silence. De lenteur et de pluie.
Que défendez-vous ?
Le devoir d’être soi, de sublimer nos peurs et nos souffrances et d’en dire quelque chose dans une quête esthétique.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
C’est donc ça ! Une double négation et c’est parti ! (sublime cadeau des interstices…)
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Quand on pose des questions, on n’a décidément que des réponses.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Ce que j’ai mangé à midi. Où j’en suis avec Dieu.
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 23 décembre 2018.