Dans une fiction à plusieurs voix, Zoé Baltic (c’est un pseudonyme et l’auteur n’en est pas à son coup d’essai) brouille les pistes par diverses voix narratives : celle des acteurs et du narrateur. Lui-même se dédoublera dans une nouvelle de l’auteure ‚“Il ne se passe jamais rien autour de nous” (Editions Kirographaires, publiée sou le nom de Marie Marais).
Dans un cursus décloisonné et foisonnant, “se donner” peut être entendu de deux façons : se donner soi-même et à soi-même et aussi être lancé au dehors jamais avoir assuré son fond. Entre ces deux sens la limite est ici peu discernable. La victime — accusée — se laisse faire par la violence des autres (mari ou étranger) si bien qu’entre enfermement et tentative de libération ne reste qu’un nécessaire “emportement” dont le dénouement rappelle un film culte nippon.
Mais, côté cinéma, la fiction de Zoé Baltic fait penser aussi à Jim Jarmusch en particulier son Dead Man mais humour noir en moins. Dans une temporalité redécoupée, la “raison empirique” se fait la belle là où le “tu vas la voir paraître” que la fiction appelle prend diverses cothurnes là où le présent ne sera jamais présent.
La romancière a mieux à faire que tomber dans la fiction policière. Tout s’agence autour de celle qui, étant “sans désir ni souffle propre”, s’applique à réagir en fonction de ce que les autres (mari, amant ou “ce” qui en tient lieu) attendent. Et tout se joue sur la question du corps dont la traversée du désir est plus ou moins bancale.
C’est pourquoi la fiction en souffre, volontairement et habilement. Elle semble se démultiplier dans des interprétations mais — et c’est là son point fort — sans se perdre dans des analyses. Dès lors, comme l’héroïne, le lecteur pourrait crier : “je ne suis pas sûr de saisir ces histoires compliquées”. En remontent du radical et du sauvage là où tout aurait pu être lissé d’autant qu’un psychanalyste entre en jeu.
Il fait ce qu’il peut mais il peut peu dans cette plongée où l’héroïne tend moins à retrouver ses racine que renaître à la vie. Mais cette remontée est une autre histoire. Pour l’heure reste un constat, là où la “jeune fille Violaine” au prénom presque prédestinée se laisse embobiner.
Demeure l’espoir, comme dans Dead Man de rejoindre l’océan. Le narrateur le lui promet. Mais, auparavant, Violaine aura “su ce qu’elle ne pas voulait savoir” et “aura entendu ce qu’elle ne pouvait entendre”. Plus tard, une autre vie commencera. Du moins, nous pouvons l’espérer.
Après une si longue attente. Mais c’est une autre histoire.
jean-paul gavard-perret
Zoé Baltic, Abus, Edilivre, 2016, 144 p. — 14,00 €.