Une superbe altération des codes du genre
Ce roman, le troisième de l’auteur après L’Île au Trésor et Les Nouvelles Mille et une Nuits, paraît en feuilletons signé de Captain George North, dans l’hebdomadaire Young Folks du 30 juin au 20 octobre 1883. Son édition en volume n’est publiée qu’en 1888.
L’action se situe pendant La guerre des Deux-Roses. Cette guerre civile, discontinue, qui opposa la maison royale de Lancastre à celle d’York pour la succession à la couronne d’Angleterre se déroula de 1455 à 1485. Henri VI était sur le trône depuis 1422, mais contesté et sujet à des accès de folie. Cette guerre est, selon nombre d’historiens, une conséquence de la fin de la guerre de Cent Ans. L’Angleterre a perdu ses possessions en France et nombre de chevaliers s’ennuient.
Le récit commence dans la région de Turnhal, sous le règne d’Henri VI. Le tocsin sonne pour appeler tous les hommes valides à la bataille. Maître Richard “Dick” Shelton et Bennet Hatch se rendent chez Nick Appleyard, un vieil archer qui était à Azincourt. Ils le retrouve dans son jardin quand une flèche noire, tirée depuis la forêt proche, le tue. La flèche porte l’inscription : “Appelyard, de la part de Jean Répare-Tout” Ils sont rejoints par sir Oliver Oates, le chapelain. Après avoir mis le corps à l’abri, ils retrouvent devant l’église une troupe d’hommes près à partir au combat. Sur la porte de celle-ci, un papier signé de Répare-Tout porte un poème qui dénonce quatre torts et qui annonce quatre flèches noires. Après Appelyard, ce sera Oliver Oates accusé d’avoir égorgé sir Harry Shelton, Bennet Hatch et sir Daniel Brackley, le seigneur des lieux.
La troupe rejoint l’auberge où est installé sir Daniel. Celui-ci est après un jeune garçon qu’il appelle son cousin, sa cousine, dont il veut faire lady Shelton… et qu’il nomme John.
Dick lui remet le pli envoyé par Oliver. Pendant que Daniel rédige une réponse et que Dick se restaure, ce dernier entend John lui demander, en chuchotant, d’aider une pauvre âme en danger et de lui indiquer le chemin le plus court pour se rendre à Holywood.
Fâché d’avoir été traité de Brave garçon par John, il le rejoint dans les marais. Celui-ci lui explique qu’il a été enlevé par Daniel et le convainc de se rallier à sa cause. Daniel a envoyé des hommes aux trousses de John…
Les événements s’enchaînent sans répit, les différents personnages sont sans cesse en mouvement, se croisant et se fuyant selon les péripéties. Il est étonnant que ce roman ait paru dans un support éditorial destiné aux jeunes garçons car l’auteur ne met pas spécialement en avant les vertus prônées, toutes les valeurs enseignées à cette époque sous l’ère victorienne. Stevenson dépeint une galerie de personnages tous plus corrompus, immoraux les uns que les autres. Même le héros n’est pas exempt de délits.
C’est la peinture de la lutte pour acquérir, conforter des pouvoirs. Le romancier met en lumière toute la cruauté, la corruption et la cupidité des grands seigneurs. : “Car son tuteur avait continuellement changé de parti dans les troubles de cette époque et chaque changement lui avait procuré quelque accroissement de fortune.”
Cette cupidité touche également d’autres catégories sociales. Ainsi Benett professe à la mort d’Appelyard : “Nick avait de l’argent. Quand vous perdez un vieil ami, maître Richard, la meilleure consolation est d’hériter de lui… et si ses économies passent à un bon ami, il n’en sera, je pense, que plus joyeux au paradis.” La prêtrise n’est pas en reste. Quand le chapelain tente de se remémorer une phrase de l’Évangile, il reconnaît : “Je ne me rappelle pas la suite ; je suis un prêtre trop négligent ; je suis trop enfoncé dans les affaires humaines.“
Mais l’auteur développe parallèlement des situations où des sentiments chevaleresques et des émotions amoureuses s’expriment.
S tevenson, s’il fait preuve d’un humour grinçant avec sa galerie de scélérats, place beaucoup d’humour plus léger dans ses propos. Il faut, par exemple, attendre la page 157 pour que Dick se rende compte que John n’est pas tout à fait celui qu’il pense… Cela donne lieu à des dialogues savoureux. Croyant parler à un garçon, Dick donne son avis sur les filles : “La peste soit d’elles, vous dis-je. Parlez-moi de chasser, de combattre, de festoyer et de vivre avec de hardis compagnons. Je n’ai jamais entendu parler de fille qui fut bonne à quelque chose, sauf une…” Et c’est surprenant car Stevenson fait alors le dithyrambe de… Jeanne d’Arc : “C’était bien la meilleure fille d’Europe…“
La Flèche noire est un roman à découvrir ou à redécouvrir absolument tant le romancier corrompt les lois du roman de cape et d’épée et historique pour en faire un catalogue mémorable des perversions humaines tout en offrant un magnifique roman d’aventures échevelées.
serge perraud
Robert Louis Stevenson, La Flèche noire (The Black Arrow), traduit de l’anglais par E. La Chesnais, Éditions de l’aube, coll. “Mikrós classique”, octobre 2018, 416 p. – 15,00 €.