Quand, venu de Hambourg, le photographe allemand Frank Habicht arrive à Londres c’est l’époque du Swinging London. Une sorte de révolution culturelle y fleurit. Derrière les Beatles toute une génération s’ose. Soudain des passages sont possibles. Habicht sait que rien ne reste à dire mais beaucoup à photographier. Surtout le mystère que la jeunesse porte sur et en elle.
Les corps se libèrent, et en dépit d’une crise latente, ils se fondent dans une forme de révolte et d’espoir. Ce dernier semble proche mais il est pour beaucoup déjà lointain. Restent le noir qui fascine, le blanc qui tue, l’opposition créatrice constante de l’infini possible et du néant. Avec Habicht le corps devient cette présence qui ose la “satisfaction” chantée par les Rolling Stones. Existe donc dans ce livre une page d’histoire qui à la fois n’en finit pas mais est bel et bien refermée.
L’objectif de l’appareil ne saisit pas seulement des corps, mais la part de désir enfoui au plus intime de l’être. La seule clé est celle de l’abandon à l’instant. Elle contient aussi sa sensation qui persiste, l’énergie du mouvement même s’il semble presque impossible. Et c’est ainsi que le photographe rejoint le mythe de la création en tant que lutte contre l’absence à soi comme à l’autre.
Tout rappelle ici Antonioni de Blow-up mais en noir et blanc. Quant aux femmes, ce sont toutes des Monica Vitti, l’égérie du cinéaste. Leurs minijupes semblent l’ultime tissu du monde, l’inverse de sa ténèbre et l’extase troublante qui décourage les mots.
D’une certaine manière, lors de son passage dans la Perfide Albion et avant de s’exiler en Nouvelle Zélande, le photographe allemand aura franchi le seuil d’une histoire très ancienne. Celle de l’image. Celles des grandes marées et de la Belle au Bois Dormant du côté de King’s Road.
Dans cette ménagerie de verre aux baisers éphémères remonte un monde empreint du martèlement des rythmes binaires tandis que, sous la pluie de Londres qui tissait les vitre des boutiques de Carnaby Street, des doigts de fée devenaient de tendres pétales maquillées de noir pour que la joie demeure.
jean-paul gavard-perret
Frank Habicht, As it was, Hatje Cantz, Berlin, 2018, 244 p. — 50,00 €.