Pendant que ses parents écoutent, ce 20 novembre 1957, la retransmission radio du mariage de la princesse Elisabeth avec Philip Mountbatten, son cousin (!), Alice prend discrètement, dans une armoire, le livre de son grand-père. Un livre de contes qui relate, entre autres, la légende de la déesse Cybèle et du berger Attis. Au printemps, avec ses deux frères, elle part dans la forêt à la recherche de la Vallée des Loups. Elle imagine que la déesse survient et punit les deux garçons acharnés à vouloir détruire la vie de fourmis, d’abeilles, de canards. À treize ans, ses parents veulent qu’elle cesse de vivre dans des univers oniriques et qu’elle construise sa vie dans la réalité. Comme elle reste sourde à ces injonctions, ils l’inscrivent dans l’institut religieux La Vierge fidèle à Bruxelles.
Elle fuit et se réfugie dans la Vallée des Loups, retrouve le Chalet bleu de son grand-père et trouve l’amour avec un adolescent surgi de nulle part, le fils de Cybèle et d’Attis. Elle continue sa vie dans ce monde magique, ignoré des hommes. Ils ont un enfant qui, à son tour, sera une petite fille, une jeune fille à la recherche…
La légende de Cybèle et Attis trouve son origine dans la région niçoise. Jean-Claude Servais la transpose dans le pays de son cœur, les Ardennes, et lui donne un développement fort intéressant. La nature est omniprésente avec ses cycles, ceux des saisons et ceux de l’existence humaine. Outre la légende déjà citée, Jean-Claude Servais intègre dans son histoire tout le monde de la féerie, tout l’univers magique des contes de fées.
Son scénario est influencé par la lecture de deux ouvrages redécouverts par l’auteur : Psychanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim et Les Âges de la vie de Christiane Singer. Si le psychanalyste exprime de belle manière la portée des contes et leur importance pour l’enfant, explicitant la fascination qu’ils exercent et les conséquences induites, la romancière témoigne que “Chaque âge de la vie exprime une nouvelle métamorphose et contient son propre « pouvoir ». Il possède sa beauté, ses ressources et sa magie…”
À partir de l’esprit de ces deux ouvrages, avec des éléments de son vécu, de sa propre expérience des étapes de sa vie, comme celle récente où il devient doublement grand-père en quelques mois, Jean-Claude Servais conçoit une histoire enchanteresse. Qui n’a pas rêvé de se réfugier dans un espace hors du temps et hors de l’espace, de se plonger au cœur d’une forêt pour y communier avec ses composantes tant faunesques que florales ? Avec Le chalet bleu il glorifie la nature, la forêt, les étangs, la faune et la flore, restituant leur aura et leurs apports psychiques.
Avec son dessin réaliste, son art de la mise en scène, de la mise en page, sa capacité à créer des personnages uniques, à peindre de vrais décors, il offre un graphisme séduisant. Cécile Bolly signe une postface contant l’intérêt de se rapprocher de la nature pour mieux la connaître, mieux la fréquenter, savoir en tirer des bienfaits et pour la défendre.
Une fois encore, Jean-Claude Servais propose un récit initiatique et mystique, un hymne à la vie, un hymne à la nature. La lecture de cet album remet en place nombre de choses essentielles oubliées dans la vie trépidante que chacun mène.
serge perraud
Jean-Claude Servais (scénario, dessin et couleur), Le chalet bleu, Dupuis, octobre 2018, 92 p. – 20,95 €.