Ce livre est celui du temps. Non, comme le rappelle Salah Stétié dans sa préface, « celui du temps qui tremble au cadran du banal bracelet-montre mais celui du temps du temps ». Ici, il s’ouvre par ce qu’en dit la langue en ses traversées de désir. Du moins lorsqu’il tente de sortir de ses « gluantes masses cérébrales » pour s’en libérer même si Sangral sait combien cette lutte est vaine.
Le poids et la force de nos rien sont trop lourds et puissants dans la nasse de notre être si bien que ce dernier se perd en dépit de ses courses folles dans l’immobilité et ses déserts d’ennui – preuve que toute passion humaine n’est que passivité. Et si le mal existe, il n’a rien à voir avec la morale : il s’appelle le temps. Et c’est parce qu’il crée une rivière de problèmes que les poèmes tentent de proposer des barrages afin que le monde comme l’être ne cessent pas d’exister.
L’objectif est prométhéen mais reste le moyen de sortir de la nuit qui est « tombée dans un livre ». Cette nuit nous empêche de vivre, dans l’obscurité nous préférons – et c’est un comble – nous regarder nous contempler. Mais sortant de la duperie des textes miroirs, Sangral ouvre le « je », le tranche pour qu’il ose affronter le risque d’être encore en vie et envie sur sa nef des fous. Celle qui glisse sur l’abîme mais que seuls les « briseurs de rêve » tentent de saborder.
Face à ce que nous nommerons l’ « ogrerie » humaine, il est temps de donner au temps moins de nuit que de soleil « pour y chier jusqu’à l’horizon son angoisse ». Le poète transforme en conséquence le monde et ses représentations. Là où une boucle se boucle au moment où la fin est le début. Et l’auteur à soin de le souligner par un texte manuscrit.
Voilà un tour de magie ou d’espoir pour renverser le fini dans l’infini selon un calcul cosmique propre à donner à l’être une dimension qu’il a perdue. A cela une raison majeure : la surpuissance d’un ego qui se contente d’être le peu qu’il est et que trop souvent la poésie classique se contente d’entretenir, comme un vieux banquier de la HSBC le fait de sa danseuse.
jean-paul gavard-perret
Stéphane Sangral, Là où la nuit / tombe, Galilée, Paris, 2018, 110 p. — 12,00 €.