Un des premiers grands braquages
En ce mois de février 1910, le train 4774 arrive à la hauteur de la station Saint-Barthélemy. Le mécanicien, un vieux de la vieille, est satisfait. Son convoi sera à l’heure à la gare de Marseille-Saint-Charles. Soudain, quelqu’un actionne le robinet à pression du système de freinage d’urgence et c’est l’irruption, sur sa machine, d’hommes masqués vêtus de longues blouses grises. Sous la menace, ils font ouvrir le wagon où se trouvent 120 kilos d’or, des bijoux, des centaines de pierres précieuses, brutalisent les convoyeurs et disparaissent dix minutes plus tard, avec leur butin, dans la nuit.
Le commissaire Eugène Baruteau atteint l’âge de la retraite. Mais il ne veut pas ternir sa belle carrière à l’Évêché en ne résolvant pas une des dernières affaires épineuses dont il a la charge. Son neveu, Raoul Signoret, reporter au Petit Provençal, assiste son oncle de façon discrète. Ce dernier comprend qu’il faut faire vite, qu’il faut mettre la main sur la bande avant qu’elle ne quitte la ville avec son formidable butin. Cependant, les limiers font face à une équipe déterminée, leur chef ne reculant pas devant le meurtre, tuant aussi bien ceux de sa bande trop bavards que ceux qui veulent se mettre en travers de sa route…
Jean Contrucci revient avec un nouvel épisode de sa saga : Les nouveaux mystères de Marseille, le treizième. Il avait évoqué, dans son recueil des grands faits-divers marseillais, un vol spectaculaire qui s’était déroulé en 1936. Il reprend cette affaire pour asseoir son intrigue en en place les principaux éléments en 1910, dans les mêmes lieux.
Autour de son intrigue, le romancier propose une chronique sociétale, fait revivre le Marseille de l’époque avec les événements locaux, la géographie de la ville, cite les incidences des décisions nationales sur l’existence des marseillais. Il s’attache, au fil de ses romans, à placer les enquêtes du duo dans différents quartiers, se transformant en guide érudit sur l’histoire de ces lieux. Dans le présent roman, l’action se déroule dans Saint-Barthélemy et aux Goudes. Il emmène, par la même occasion, ses lecteurs à la découverte de divers secteurs professionnels. Il décrit l’existence des cheminots sur les trains à vapeur et celui des bouchers dans les abattoirs où ces travailleurs portent de longues blouses grises.
Avec ses héros, le romancier fait saliver à l’évocation de la cuisine locale si appréciée du commissaire, détaillant les plats et leurs composants, donnant des recettes. Raoul permet à l’auteur de dépeindre la vie de journaliste, le travail de la presse quand celle-ci était rayonnante. On retrouve les fondements de la série avec les rapports entre les héros, la galerie de personnages secondaires hauts en couleur, la restitution de l’ambiance de cette époque. Le romancier intègre à son récit une relation érudite de l’histoire locale et multiplie des détails. Il use d’un ton très humoristique et on retrouve, dans les dialogues très imagés, toute la faconde provençale d’une atmosphère “à la Pagnol”. Cependant, à l’abondance des anecdotes, il allie une intrigue au suspense très présent.
Avec La nuit des blouses grises, Jean Contrucci, une fois encore, tient son lecteur en haleine moyennant une intrigue d’un niveau relevé et un volet historique passionnant.
serge perraud
Jean Contrucci, La nuit des blouses grises, JC Lattès, septembre 2018, 336 p. – 19,00 €.