Bertrand Schefer, Série noire — Rentrée 2018

L’his­toire qui revient

Sche­fer à tra­vers sa « fic­tion » — plus vraie que ce qu’elle reprend — construit (comme naguère avec son « La photo au-dessus de lit » chez le même édi­teur) un espace plu­ri­voque au nom d’un fait divers qui bou­le­versa la France au début des années 60: le rapt du fils Peu­geot. L’évènement fit la une des jour­naux et des radios. Mais une fois réso­lue, se décou­vrit sous l’histoire sa scène pri­mi­tive.
Ce pre­mier grand kid­nap­ping fran­çais était de fait cal­qué mot pour mot sur un roman amé­ri­cain de la Série noire. Un jeune ouvrier séduc­teur au plus haut point, revenu de la guerre d’Algérie et recon­verti dans la vente d’électrophones, se jette dans les nuits pari­siennes. Il ren­contre celles et ceux qu’on ne nomme pas encore « people » et entre autres une nym­phette danoise amie d’Anna Karina. S’introduit au milieu de ce couple celui qui — anti­so­cial vis­cé­ral — a décou­vert le livre de la Série noire. Il le révèle à lui-même et va entraî­ner l’enlèvement.

A l’aide de divers docu­ments, Sche­fer remonte (à tous les sens du terme) cette his­toire aussi cri­mi­nelle que lit­té­raire où réa­lité et fic­tion se mêlent. A coté des gang­sters d’occasion et presque d’opérette se retrouve une part de la lit­té­ra­ture et du cinéma de l’époque. Ces intervenants-là deviennent les vrais pro­ta­go­nistes de l’histoire. Il y a Anto­nioni à Cannes, Anna Karina bien sûr, Fran­çoise Sagan, Ken­neth Anger, Jean-Jacques Pau­vert, Sime­non, His­toire d’O et les tour­nages de Clou­zot et de Truf­faut à une époque où les médias de plus en plus puis­sants réin­ventent les récits cri­mi­nels pour les scé­na­ri­ser à leur main.
Ce livre n’est donc en rien un repor­tage mais un roman « ciné­ma­to­gra­phique », magné­tique, mon­dain, canaille, cri­tique et dont la posi­tion logis­tique se déplace du rapt à sa res­ti­tu­tion biai­sée par les médias. Sche­fer montre com­ment le sexuel prend part dans une telle « roman­ti­sa­tion » du réel.

Le livre crée une remise en ques­tion abys­sale de la réa­lité dont le « champ » devient mal­léable et souple. Loin des miè­vre­ries, l’auteur montre avec pré­ci­sion l’effet-image et son excé­dent. L’impossible ne peut la satu­rer et la propre fic­tion de l’auteur devient la « méta­phore » par­ti­cu­lière des « remises » des médias mais aussi la zone de mys­tère où l’obscur ren­verse la lumière de l’ordre.

jean-paul gavard-perret

Ber­trand Sche­fer,  Série noire, P.O.L édi­teur, 2018, 176 p. — 17,00 €.

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