Anne Slacik, Jardins

Méta­mor­phoses des jardins

Pour Anne Sla­cik, le jar­din est une contrée à explo­rer, une éten­due à par­cou­rir. Face à lui (et les poèmes qui accom­pagnent ses œuvres le prouvent); il convient pour les par­cou­rir, les mon­trer et les dire, d’insister sur la néces­sité de rompre avec l’habitude mal conju­rée qu’est l’expression d’un atta­che­ment à la ques­tion de la vérité, de l’authenticité de sa géo­gra­phie et de sa repré­sen­ta­tion clas­siques.
L’artiste ban­nit les res­sources naïves du lan­gage plas­tique et de repro­duc­tion et les détourne de leurs fins dites spon­ta­nées pour se livrer au culte exclu­sif de l’intention sub­ver­sive, du piège, de la machination.

Une fois admis que la valeur expres­sive et signi­fi­ca­tive du lan­gage plas­tique repose sur une illu­sion, il s’agit de rap­pe­ler que le jar­din est avant tout un objet phy­sique dont il convient d’analyser atten­ti­ve­ment les mul­tiples dimen­sions. Affir­mant ainsi qu’une démarche plas­tique authen­tique qui se refuse à l’arbitraire ne fait nul­le­ment réfé­rence à la quête de l’image « juste » (ou réa­liste) mais vise à l’interroger – comme le jar­din lui-même – en ses dif­fé­rentes signi­fi­ca­tions et sa qua­lité plas­tique.
Et cela pro­cède du constat de l’irréductibilité de l’image ou du poème à la seule fonc­tion d’expression, de com­mu­ni­ca­tion qu’on lui attribue.

Anne Sla­cik prouve qu’un artiste n’est pas maître du lieu, Il ne lui est pas pos­sible d’exercer sur lui une com­plète domi­na­tion. Il est seule­ment en son pou­voir de n’en rete­nir que cer­taines pro­prié­tés, annu­lant pour ainsi dire toutes les autres, comme le phy­si­cien qui, pour les besoins de sa cause, peut ne rete­nir des états de la matière que l’éclat et la pesan­teur.
L’artiste accueille le jar­din avant de lui deman­der quelque « ser­vice ». Elle sait qu’un tel lieu est une chose vivante étroi­te­ment mêlée à la vie humaine comme des pay­sa­gistes les plus avan­cés : on pense à Yves Bru­nier par exemple.

Comme lui, Anne Sla­cik a com­pris com­bien le domaine de pré­hen­sion du jar­din est une zone fer­tile en dan­gers, en périls renou­ve­lés parce que les images qui en sont pro­po­sées peuvent se retour­ner contre les signi­fi­ca­tions qu’on veut leur faire expri­mer, voire inflé­chir sa valeur et son sens en repro­dui­sant les « lieux com­muns » d’un impensé col­lec­tif que la culture popu­laire ou savante en donne. Que déli­bé­ré­ment l’on en veuille rete­nir cer­taines « pro­prié­tés » au détri­ment des autres, aus­si­tôt ils se vengent.
C’est pour­quoi l’artiste ne cherche pas à en épou­ser les formes mais à les trans­for­mer. Elle refuse donc de s’abandonner à la repro­duc­tion des idées sur le jar­din. Ce serait s’abandonner au pre­mier mou­ve­ment d’une créa­tion biai­sée qui n’aimerait et culti­ve­rait que ses che­mins inlas­sa­ble­ment battus.

A l’inverse, chez la créa­trice, le jar­din pro­pose et dis­pose. L’être n’en dis­pose pas à sa guise. Mais la for­ma­tion des images donne racine à une ger­mi­na­tion plas­tique qui cultive le refus de réduire le jar­din à des signi­fiants reçus en héri­tage. La plas­ti­cienne dans un tra­vail de recueille­ment, para­doxa­le­ment, le trans­forme. Elle ne prend pas la pos­ture du maître, mais celle de l’expérimentatrice.
Elle recon­naît l’altérité des jar­dins qu’elle manie en res­pec­tant leur éner­gie et leur temps propres mais de façon à inquié­ter le pli et les bandes de leur gram­maire pour la détour­ner dans sa recomposition.

Ces quatre livre en Lepo­rello consti­tuent le porche ou la clef de voûte de son œuvre qui pro­cède chez elle de la recon­nais­sance de l’impossibilité d’une créa­tion ab nihilo. Il faut un jar­din — d’Eden ou non — afin que le brouille­ment des lignes et des formes crée des pro­po­si­tions sus­cep­tibles d’installer le lieu par de sub­tils gau­chis­se­ments.
La plas­ti­cienne en altère les pers­pec­tives de façon à pro­duire, à terme, un « objet » plus per­for­mant et bouleversant.

jean-paul gavard-perret

Anne Sla­cik, Jar­dins, 4 livres avec 4 poèmes de Ber­nard Var­gaf­tig, Vero­nique Vas­si­liou, Antoine Emaz et Jean Pierre Faye, Voix Edi­tions – Richard Meier, 2018.

1 Comment

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One Response to Anne Slacik, Jardins

  1. peytavi

    J’aime bcp l’idée du porche ou clé de voûte qui tient l’oeuvre ET le regard. Me reviennent en tête des images de scé­no­gra­phies d’opéras roman­tiques, où l’amant se cache sous un porche…
    Belle cri­tique qui donne envie de plon­ger dans les JARDINS d’Anne.
    HPeytavi

    PS : Signa­ture des JARDINS et de PARTITA le ven­dredi 28 sep­tembre à 18h chez TORCATIS à Per­pi­gnan, avec Richard Meier, Anne Sla­cik, Jean Gabriel Cos­cul­luela et Hélène Peytavi

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